T4 | Revue Trimestrielle de TorysAutomne 2025

La quête de capitaux des gestionnaires d’actifs non traditionnels : attirer les investisseurs individuels canadiens grâce aux fiducies de fonds communs de placement

Comme nous l’avons souligné dans les articles « Les investisseurs individuels et les fonds d’accès : de nouveaux venus dans les fonds privés » et « Retail revolution? The democratization of private equity », les investisseurs individuels1 montrent de plus en plus d’intérêt envers les catégories d’actifs non traditionnelles (capital-investissement, crédit privé, infrastructure) qui ont longtemps été réservées aux investisseurs institutionnels. Nombre d’entre eux souhaitent effectuer leurs placements dans des comptes enregistrés, car ils leur offrent des avantages fiscaux, une certaine flexibilité et des incitatifs du gouvernement. Précédemment, les comptes enregistrés ont toujours été utilisés pour détenir des titres cotés en bourse, mais on s’en sert aussi désormais pour investir dans des catégories d’actifs non traditionnelles. Les gestionnaires de ces actifs ont ainsi accès à une nouvelle source importante de capitaux, car les comptes enregistrés représentent une grande part du patrimoine investissable des particuliers.

 
Plusieurs développements récents au Canada et aux États-Unis devraient améliorer l’accès des investisseurs individuels aux actifs non traditionnels, qu’il pourra être plus facile de détenir dans des comptes enregistrés. Le Canada a récemment achevé la « Consultation sur les placements admissibles pour les régimes d’épargne procurant des avantages fiscaux »2 (le rapport sera publié à une date ultérieure) qui vise à moderniser les règles de placement admissible s’appliquant à plusieurs régimes enregistrés. Aux États-Unis, le président Donald Trump a récemment signé un décret3 promouvant un meilleur accès au capital-investissement et à d’autres actifs non traditionnels dans les régimes d’épargne-retraite à cotisations déterminées, tels que les régimes 401(k), comme nous le décrivons dans notre article sur les fonds américains destinés aux particuliers.

En règle générale, les placements dans les comptes enregistrés sont limités aux « placements admissibles », qui n’incluent généralement pas les participations dans les sociétés de personnes, le crédit privé et le capital-investissement. Les comptes enregistrés peuvent détenir des fiducies de fonds communs de placement et des fonds distincts qui, eux, peuvent investir dans des placements non traditionnels. Malgré ces limites, les fiducies de fonds communs de placement et les fonds distincts, conçus pour offrir aux investisseurs individuels un accès aux actifs non traditionnels au moyen de comptes enregistrés, ont connu une croissance fulgurante.

Qu’est-ce qu’une fiducie de fonds commun de placement?

Une fiducie de fonds commun de placement (FFCP) est un type de « fiducie d’investissement à participation unitaire » qui bénéficie de certains avantages fiscaux en tant qu’entité d’investissement, entre autres du fait que ses unités constituent des placements admissibles pour les comptes enregistrés4. Elle doit satisfaire à certaines exigences pour être considérée comme une FFCP au sens de la loi canadienne sur l’impôt. Ainsi, une FFCP ne peut pas exercer d’activité commerciale; ses seules activités doivent consister : i) à investir ses fonds dans des biens (sauf des biens réels ou des intérêts sur ceux-ci); ii) à acquérir, à détenir, à entretenir, à améliorer, à louer ou à gérer des biens réels (ou des intérêts sur ceux-ci); ou iii) à exercer plusieurs de ces activités.

Les FFCP doivent résider au Canada et disposer d’une catégorie d’unités admissible à un appel public à l’épargne. Elles doivent également compter au moins 150 porteurs d’unités (les investisseurs) dans les 90 jours suivant la fin de leur première année d’imposition, chaque porteur d’unités étant tenu de détenir des unités dont la juste valeur marchande totale est d’au moins 500 $.

Contrairement à un fonds privé à capital fixe classique, les unités des FFCP doivent être rachetables au gré des porteurs. Autrement dit, les FFCP doivent permettre aux investisseurs de faire racheter leur participation (cette exigence s’applique même si les unités de FFCP sont détenues dans des comptes enregistrés). Grâce à l’exigence fiscale de rachat sur demande, les FFCP sont considérées comme des « fonds communs de placement » (et donc des « fonds d’investissement ») aux termes de la législation canadienne sur les valeurs mobilières. Par conséquent, ces fonds et leurs promoteurs sont assujettis à certaines dispositions de la réglementation des valeurs mobilières. Toutefois, pour éviter des exigences qui rendraient ces instruments difficiles à mettre en pratique, ces fonds sont généralement réservés aux « investisseurs qualifiés », au sens de la législation canadienne sur les valeurs mobilières. Ainsi, les exigences réglementaires applicables aux fonds communs de placement publics ne s’appliquent pas toutes à eux.

Concilier unités rachetables sur demande et actifs illiquides

Normalement, une FFCP destinée aux particuliers qui investit dans des titres cotés en bourse serait en mesure de satisfaire au critère de « rachat sur demande », car son portefeuille est liquide et qu’elle maintient une petite réserve de liquidités pour négocier les titres. À l’opposé, une FFCP qui détient des actifs non traditionnels doit composer avec le manque de liquidité et la longue durée de vie de ces actifs. Même si cet horizon à long terme peut convenir aux investisseurs individuels qui épargnent en vue d’objectifs lointains et n’ont pas besoin de liquidité immédiate, certains aspects des règles liées aux FFCP sont axés davantage sur la liquidité que sur la convenance des placements.

Pour satisfaire au critère de « rachat sur demande », les modalités d’une FFCP doivent lui permettre de remettre ses unités à la demande des porteurs. Pour ce faire, la FFCP peut notamment conserver une partie de son portfolio dans des actifs liquides5 et utiliser les liquidités générées par les nouvelles souscriptions. Cependant, des FFCP de placements non traditionnels créées récemment ont introduit d’autres mécanismes, décrits ci-dessous, afin d’avoir suffisamment de liquidités pour faire face aux rachats prévus. En pratique, gérer un fonds conformément au critère de « rachat sur demande » dépend de plusieurs facteurs, comme la probabilité que les investisseurs voudront faire racheter leurs unités (attirer des investisseurs qui ont un horizon à long terme et n’ont pas besoin de leur argent avant l’échéance) et la capacité à payer le prix de rachat en espèces ou en nature dans un délai raisonnable (conserver des actifs liquides et être en mesure de satisfaire les demandes de rachat en nature).

Composantes en liquidités

Il est courant pour les FFCP de maintenir une composante en liquidités; cette partie du portefeuille des FFCP est allouée à des investissements très liquides (par exemple, des investissements temporaires ou à court terme tels que des titres d’État, que ce soit directement ou au moyen de placements dans des fonds du marché monétaire), et ce, quelle que soit la stratégie de placement sous-jacente. L’importance de la composante en liquidités par rapport à la valeur liquidative totale d’une FFCP varie. La bonne taille dépend de la stratégie et de la composition du portefeuille de la FFCP et devrait idéalement se fonder sur une simulation de crise de liquidité effectuée par le promoteur du fonds. Le maintien d’un sous-portefeuille liquide pour répondre aux demandes de rachats peut nuire aux rendements de la FFCP, car ces actifs produisent généralement des rendements beaucoup plus faibles que les actifs composant la stratégie de placement globale du fonds. Pour contrer le risque d’insuffisance de liquidités, les promoteurs recourent habituellement à des outils supplémentaires, comme des seuils de rachat et des billets de rachat.

Seuils de rachat

Les seuils de rachat sont utilisés dans beaucoup de fonds ouverts (qu’ils soient ou non structurés au moyen de FFCP). Ils servent avant tout à informer les investisseurs qu’ils devraient acheter des unités en vue de les conserver jusqu’à l’échéance. L’objectif des seuils de rachat ne doit pas être de différer les rachats, car cela violerait le principe de rachat sur demande, mais plutôt de dissuader les investisseurs ayant des besoins de liquidité très importants d’investir dans une FFCP. En règle générale, un seuil de rachat limite le volume des demandes de rachats qui pourraient autrement devoir être satisfaites au cours d’une période donnée, afin que le fonds dispose de liquidités suffisantes pour répondre aux demandes au fur et à mesure qu’elles sont reçues. En plus de prévenir ou de retarder les retraits des investisseurs, les rachats peuvent être limités par des frais de rachat anticipé ou une réduction imposés aux investisseurs qui veulent obtenir un remboursement peu de temps après avoir investi dans la FFCP. Lorsqu’un seuil de rachat est temporairement activé, cela n’empêche pas les rachats sur demande. Cela dit, ce mécanisme ne devrait être utilisé qu’avec parcimonie et dans des circonstances exceptionnelles.

Billets de rachat

La possibilité d’émettre des billets de rachat permet à une FFCP de racheter ses unités (sur demande) moyennant un paiement en nature plutôt qu’en espèces. Ainsi, lorsqu’une FFCP ne dispose pas de liquidités suffisantes pour répondre aux demandes de rachats, elle peut émettre aux porteurs d’unités un billet à ordre non garanti portant intérêt (souvent appelé « billet de rachat ») pour la participation dans le fonds, relativement à la partie du produit du rachat qu’elle ne peut pas verser en espèces. Les billets de rachat peuvent être émis par la FFCP, une filiale de la FFCP ou une entité ad hoc (liquidation). Il est important que les billets de rachat soient structurés de manière à ne pas avantager indûment les porteurs d’unités, tout en reflétant le fait que les unités rachetées ont été payées et comprenant des modalités qu’un investisseur raisonnable devrait accepter. L’utilisation de billets de rachat est généralement considérée comme une mesure de dernier recours, car ces billets ne sont pas des placements admissibles dans les régimes enregistrés. Les billets de rachat détenus dans un régime enregistré peuvent faire l’objet d’une pénalité fiscale et être soumis à des obligations de déclaration supplémentaires. Par conséquent, les promoteurs offrent généralement aux investisseurs la possibilité de différer les rachats souhaités à une autre période de rachat, au lieu de procéder à un rachat payé en nature à l’aide de billets de rachat.

Emprunts

En plus des outils de gestion des liquidités mentionnés ci-dessus, les promoteurs autoriseront souvent la FFCP à emprunter pour répondre aux demandes de rachat. Toutefois, les promoteurs doivent savoir qu’un fonds destiné aux particuliers ne sera pas forcément en mesure de mettre en place une facilité de souscription traditionnelle garantie par les engagements de capitaux non utilisés. En effet, certains prêteurs estiment que les capitaux des investisseurs individuels ne constituent pas une base d’emprunt suffisante.

Analyse des risques et information

Les placements non traditionnels sont généralement moins liquides et plus risqués que les fonds communs de placement traditionnels et les fonds négociés en bourse qui investissent dans des titres cotés en bourse, que les investisseurs individuels et leurs gestionnaires de portefeuille connaissent mieux et avec lesquels ils sont à l’aise. Même avec les outils de gestion des liquidités décrits ci-dessus, ces placements peuvent ne pas convenir aux personnes qui sont susceptibles d’avoir besoin de fonds à court terme et qui n’ont pas l’intention de les détenir jusqu’à l’échéance. En outre, comme un compte enregistré pourrait recevoir des billets pour le paiement en nature d’un rachat et que ces billets peuvent entraîner des pénalités fiscales jusqu’à leur cession, les détenteurs de comptes enregistrés devraient examiner attentivement si le rendement unique offert par les fonds non traditionnels correspond à leurs objectifs de placement et à leur tolérance au risque. Compte tenu des défis et des conséquences décrites ci-dessus, les promoteurs doivent veiller à ce que la notice d’offre ou tout autre document de marketing contienne de l’information suffisamment détaillée pour que les investisseurs individuels et leurs gestionnaires de portefeuille soient conscients de la nature illiquide des placements non traditionnels et des risques que cela pose. À noter que l’Alternative Investment Management Association (AIMA) et la Chartered Alternative Investment Analyst Association (CAIA Association) ont publié des lignes directrices sur la notation du risque des fonds non traditionnels au Canada6; ces documents peuvent aider les promoteurs à préparer l’information sur les fonds du secteur de détail.

Conclusion

Les FFCP représentent une solution intéressante pour les promoteurs de fonds qui intègrent des investisseurs individuels et des régimes enregistrés dans leur base d’investisseurs. Nous nous attendons à ce que l’utilisation de FFCP aux fins des placements non traditionnels continue de croître, vu la demande croissante pour cette catégorie d’actifs, qui avantage tant les investisseurs individuels que les promoteurs de fonds.


  1. Aux fins de cet article et de l’analyse des placements dans les fiducies de fonds communs de placement, l’expression « investisseurs individuels » réfère aux personnes physiques considérées comme des « investisseurs qualifiés » au sens du Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus.
  2. Gouvernement du Canada, « Consultation sur les placements admissibles pour les régimes d’épargne procurant des avantages fiscaux » (16 juillet 2024). En date de cette publication, il est prévu que le gouvernement publie ses recommandations ou son projet de loi dans les prochains mois.
  3. Les avantages de la constitution en FFCP comprennent également l’exonération de l’impôt minimum de remplacement, l’accès au mécanisme de remboursement des gains en capital, l’exonération de l’impôt de la Partie XII.2, l’exonération de la règle de la disposition présumée après 21 ans et l’exonération des règles relatives aux « institutions financières ».
  4. En général, cela est considéré comme peu propice au rendement, car les actifs liquides à court terme produisent des rendements inférieurs à ceux que ciblent les fonds non traditionnels.
  5. Alternative Investment Management Association Limited, « AIMA & CAIA Risk Rating Guidelines for Alternative Funds in Canada » (mars 2025).

Si vous souhaitez discuter ces enjeux et ces questions, veuillez contacter les auteurs.

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