Plusieurs développements intéressants sont survenus dans le domaine des actions collectives au Canada en 2022. Nous examinons ci-dessous les principaux points à retenir de l’année dernière et ce que nous attendons des tribunaux en 2023 et dans les années à venir.
En 2022, les tribunaux de l’Ontario ont fourni des indications supplémentaires sur l’autorisation des requêtes préalables à la certification en vertu de l’article 4.1 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs (la Loi de l’Ontario). L’article 4.1, une nouvelle disposition adoptée dans le cadre des récentes modifications à la Loi de l’Ontario, exige qu’une motion soit entendue avant la motion en certification si elle peut régler l’instance (en tout ou en partie) ou limiter les questions ou les éléments de preuve, « sauf si le tribunal ordonne que les deux motions soient entendues ensemble »1.
Nous nous attendons à voir davantage de requêtes pré-certification en Ontario à la suite de l’interprétation que le tribunal a donné à l’article 4.1 dans l’affaire Davis v. Desjardins Financial Services Firm Inc.2 en 2022. Appuyant l’analyse dans Dufault v. Toronto Dominion Bank3, l’affaire Davis confirme que l’article 4.1 crée une présomption en faveur des requêtes pré-certification. Nous pourrions aussi voir plus de cas où les défendeurs présentent des requêtes pré-certification plus tôt pour s’assurer que l’ordre d’instruction des requêtes est établi avant la détermination d’une date pour l’audience en certification – le tribunal ayant remarqué dans l’affaire Davis que c’était important pour maintenir la présomption selon laquelle la requête préliminaire doit être entendue en premier. Enfin, il est possible que les tribunaux autorisent de plus en plus de requêtes en jugement sommaire partiel avant la certification. Bien que les tribunaux de l’Ontario soient souvent réticents à rendre des jugements sommaires partiels (puisqu’ils ne règlent qu’une partie du litige), dans l’affaire Davis, la cour a souligné que l’article 4.1 réfère aux requêtes pré-certification qui peuvent régler l’instance en tout ou en partie. Le fait que la requête en jugement sommaire des défendeurs ne traitait pas de toutes les questions en litige dans cette affaire n’a pas empêché que celle-ci soit entendue avant la certification.
Nous ne nous attendons pas à voir la même tendance en faveur des requêtes pré-certification dans d’autres provinces4. En effet, ailleurs au Canada, les tribunaux disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer l’ordre d’instruction des requêtes en contexte d’action collective, ce qui les amène souvent à évaluer plus de facteurs que ceux qui ont été récemment jugés pertinents par les tribunaux ontariens aux termes de l’article 4.1 de la Loi de l’Ontario. Tout en reconnaissant qu’il n’y a pas de présomption selon laquelle les requêtes en certification doivent être entendues en premier, les tribunaux de la Colombie‐Britannique et de l’Alberta ont utilisé cette approche plus discrétionnaire pour rejeter des requêtes pré-certification dans certaines affaires entendues l’an dernier5, de sorte qu’on pourrait observer une approche plus variée dans ces provinces. De plus, la Cour fédérale a réitéré que les requêtes pré-certification ne devraient être autorisées que dans des circonstances exceptionnelles6. Quant aux tribunaux de la Saskatchewan, ils appuient généralement une approche « certification d’abord, sauf exception »7. Cela dit, la Cour d’appel de la Saskatchewan pourrait bientôt fournir des indications supplémentaires sur l’ordre d’instruction des requêtes pré-certification dans l’affaire Hoedel v. WestJet Airline Ltd. entendue en novembre 2022. L’affaire Hoedel donnera également au tribunal l’occasion de déterminer si l’instruction de la requête en jugement sommaire doit avoir lieu après certaines étapes telles que la production de documents et l’interrogatoire préalable8. Cela aura une incidence sur l’ordre d’instruction des requêtes par rapport à la certification. De plus, la Saskatchewan procède actuellement à une revue de sa législation sur les actions collectives dans le cadre d’une éventuelle réforme. Le rapport de consultation publié par la Law Reform Commission of Saskatchewan suggère notamment d’abolir la règle donnant préséance à la certification à l’aide d’une disposition semblable à l’article 4.1 de la Loi de l’Ontario9.
Au Québec, où les demandes pré-autorisation se limitent généralement aux demandes en défense d’autorisation de produire des éléments de preuve ou d’interroger le demandeur (accordées avec parcimonie dans les deux cas), une seule audience préliminaire tenue avant l’autorisation demeure la norme. Alors que la Cour supérieure du Québec continue de rattraper son retard dans le traitement des dossiers accumulés pendant la pandémie et aggravé par le manque de ressources judiciaires, il a été difficile de fixer des dates pour l’audition des demandes pré-autorisation en 2022 et nous nous attendons à ce que les retards se poursuivent en 2023.
Nous nous attendions à ce que les tribunaux de l’Ontario fournissent des indications quant à l’application appropriée du critère relatif au meilleur moyen récemment modifié au paragraphe 5(1.1) de la Loi de l’Ontario, mais ce critère n’a pas été examiné en profondeur en 2022. Comme nous l’avons déjà mentionné, le nouveau critère relatif au meilleur moyen adopte les critères de supériorité et de prédominance énoncés dans les Federal Rules of Civil Procedure des États-Unis, qui exigent que les questions communes l’emportent sur les questions individuelles et que l’action collective soit supérieure à tous les autres moyens raisonnablement disponibles pour établir le droit des membres du groupe à une mesure de redressement ou examiner la conduite reprochée au défendeur. En discutant de cette modification, le procureur général de l’Ontario a fait remarquer qu’elle visait à rendre la certification plus rigoureuse10. Par le passé, les tribunaux canadiens n’ont pas suivi les critères de supériorité et de prédominance énoncées dans les Federal Rules of Civil Procedure, en partie en raison des différences entre la Rule 23(b)(3) et la législation canadienne sur les actions collectives11. Toutefois, ces différences ont été éliminées par la disposition modifiée de l’Ontario. De plus, la nouvelle Class Proceedings Act de l’Île-du-Prince-Édouard contient un critère de supériorité et de prédominance identique à celui de l’Ontario12. Dans le cadre de sa revue de la Class Actions Act de la Saskatchewan, la Law Reform Commission of Saskatchewan s’est penchée notamment sur la question de savoir s’il y a lieu de modifier le critère relatif au meilleur moyen, par exemple en ajoutant des exigences relatives à la supériorité et à la prédominance13.
Toutefois, jusqu’à maintenant, les tribunaux ontariens n’ont fait que mentionner brièvement le nouveau critère relatif au meilleur moyen, notamment dans une décision rendue en février 2022 dans l’affaire Brewers Retail v. Campbell14. Dans cette affaire, les parties ont demandé la certification d’un recours collectif en vue de régler un différend relatif à un régime de retraite. L’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers (ARSF), qui réglemente les régimes de retraite, a été autorisée à intervenir et a plaidé contre la certification15, insistant sur le fait qu’une audience réglementaire devant le Tribunal des services financiers (TSF) était la procédure à privilégier. La cour n’était pas d’accord et a conclu qu’un recours collectif pouvait régler définitivement les questions à l’échelle du groupe et établir un juste équilibre entre les intérêts des parties au litige. En revanche, une audience devant le TSF porterait sur des questions plus générales de politique réglementaire qui iraient au-delà des intérêts immédiats des parties16.
Dans l’affaire Brewers, la cour a privilégié un recours collectif par rapport à d’autres moyens de règlement compte tenu des faits en l’espèce, sans prendre en compte l’élément de supériorité du nouveau critère relatif au meilleur moyen. En revanche, dans l’affaire Coles v. FCA Canada Inc.17, un recours collectif proposé concernant des coussins gonflables prétendument défectueux, la cour a conclu que la certification n’était pas préférable au programme de rappel existant de la défenderesse en raison de la lenteur avec laquelle le recours collectif avait progressé et parce que la loi applicable avait récemment été précisée. La cour a reconnu que, puisque le recours avait été intenté avant la modification de la Loi de l’Ontario, le paragraphe 5(1.1) ne s’appliquait pas, mais que le résultat serait le même en vertu du nouveau critère relatif au meilleur moyen.
En 2023, nous nous attendons à ce que le critère relatif au meilleur moyen de l’Ontario fasse l’objet d’un examen plus approfondi dans d’autres contextes, ce qui en clarifiera les dimensions.
En 2022, les tribunaux de l’Ontario ont continué de débattre de l’application appropriée de l’article 29.1 de la Loi de l’Ontario, qui prévoit que le tribunal doit rejeter un recours collectif proposé pour cause de retard un an après son introduction, à moins que le demandeur n’ait pris certaines mesures pour faire avancer l’instance en vue de sa certification. Une question centrale est le niveau de discrétion du tribunal en vertu de cette disposition. Dans l’affaire D’Haene v. BMW Canada Inc.18, la cour a reconnu que la disposition est obligatoire et qu’elle requiert le rejet de l’instance si les conditions préalables sont remplies. Toutefois, elle a conclu qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire, notamment en vertu de l’article 12 de la Loi de l’Ontario, d’ordonner l’annulation du rejet et la reprise de l’instance si les demandeurs déposent un dossier de requête en certification dans les 30 jours, qualifiant une telle ordonnance d’« ordonnance phénix ». Par opposé, dans l’affaire Adkin v. Janssen-Ortho Inc.19, décision rendue après l’affaire D’Haene, la cour a conclu que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 12 ne pouvait être utilisé pour déroger aux dispositions obligatoires de la Loi de l’Ontario, y compris l’article 29.1.
En 2023, nous nous attendons à obtenir d’autres précisions, notamment de la Cour d’appel de l’Ontario, sur l’interprétation et l’application appropriées de l’article 29.1.
À la fin de novembre 2022, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu une trilogie de décisions portant sur le délit d’intrusion dans l’intimité en contexte de recours collectifs20. Comme nous l’avons mentionné précédemment (article en anglais seulement), dans les trois cas, les demandeurs ont intenté des recours collectifs contre des défenderesses qui avaient traité et stocké des renseignements personnels compromis par des pirates informatiques non identifiés. La Cour d’appel a statué que, puisque l’intrusion alléguée dans la vie privée des demandeurs n’avait pas été commise par les défendeurs eux‐mêmes, les allégations de délit d’intrusion dans l’intimité formulées contre ces derniers ne pouvaient être certifiées.
Compte tenu des précisions fournies par la Cour d’appel, et sous réserve d’un appel subséquent devant la Cour suprême du Canada, nous nous attendons à ce que les fournisseurs de services d’hébergement de données se défendent avec plus de succès contre des allégations de délit d’intrusion dans l’intimité dans les actions collectives proposées concernant une atteinte à la sécurité des données. Cela pourrait réduire la fréquence des actions collectives contre les hébergeurs de données à la suite d’atteintes à la sécurité commises par un tiers21.
Bien que les procès sur les questions communes soient encore relativement rares au Canada, à mesure que de plus en plus d’affaires approchent de ce stade, nous nous attendons à ce que les tribunaux nous fournissent des indications supplémentaires sur un certain nombre de questions relatives au fond en 2023. Par exemple, en ce qui concerne les méthodes de détermination de la responsabilité à l’échelle du groupe, le règlement des questions individuelles après l’étape des questions communes et la façon d’accorder des dommages-intérêts, soit par l’octroi de dommages-intérêts globaux, soit au moyen de l’étape des questions individuelles régie par l’article 25 de la Loi de l’Ontario.
Cette dernière catégorie a été examinée par le tribunal en septembre 2022, dans le cadre d’un recours collectif intenté contre le Grenville Christian College concernant des allégations de mauvais traitements envers des enfants commis entre 1973 et 1997. Suite à la conclusion de responsabilité du collège envers le groupe22, le tribunal a rendu une décision portant sur le processus de résolution des questions d’indemnisations individuelles. Les circonstances de l’affaire ont soulevé des défis uniques. Les défendeurs étaient insolvables et leur couverture d’assurance pour les années en cause était sporadique (certaines années, ils n’étaient pas assurés, alors que d’autres années, ils étaient assurés jusqu’à concurrence de 10 millions de dollars). Pour remédier à cette situation, la cour a ordonné que les membres du groupe qui pouvaient obtenir un dédommagement auprès des assureurs des défendeurs versent ce montant dans un fonds commun, qui servirait ensuite à payer tous les membres du groupe admissibles selon un plan de distribution23. Cette décision est l’une des premières applications majeures du pouvoir de déterminer les questions individuelles prévu par l’article 25 de la Loi de l’Ontario. Bien que la cour ait reconnu que des considérations de compétence pourraient faire obstacle à son approche, elle s’est fondée sur le pouvoir discrétionnaire prévu aux articles 12 et 25 de la Loi en affirmant que ces obstacles pourraient être surmontés si les parties acceptent l’approche et la traitent comme un règlement assujetti à l’approbation de la cour.
Nous nous attendons à de nombreux développements intéressants et utiles dans le domaine des actions collectives en 2023. Voici les principaux points à retenir pour les entreprises :
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