Aperçu des risques de litige pour 2025

De récents recours collectifs tentent de redéfinir la notion de nuisance publique

L’année 2024 a vu une hausse significative des actions en nuisance publique intentées contre des entreprises canadiennes. Normalement associée aux déversements de produits toxiques et aux dommages environnementaux, la nuisance publique est de plus en plus invoquée dans le cadre d’actions en responsabilité du fait des produits, d’actions collectives et de litiges délictuels de masse. Cette tendance vise potentiellement divers secteurs qui fournissent des biens et des services aux consommateurs, depuis les produits de consommation et les cosmétiques jusqu’aux médias sociaux.

Contrairement aux causes d’action en responsabilité du fait des produits fondées sur la négligence ou la présentation inexacte de faits, le délit de nuisance publique permet d’alléguer un préjudice à l’intérêt public général (santé publique, sécurité, environnement). Les entreprises canadiennes doivent ainsi composer avec une nouvelle source de litiges complexes et potentiellement coûteux et pourraient être tenues responsables pour des événements hors leur contrôle, y compris des actes commis par des tiers.

Qu’est-ce que le délit de nuisance publique?

Pour établir une nuisance publique en common law, les demandeurs doivent prouver (1) l’existence d’un droit public; et (2) une interférence déraisonnable avec ce droit1.

Alors que les droits publics se limitent habituellement à l’usage et à la jouissance d’une propriété publique comme la terre, l’eau et l’air2, les demandeurs se fondent sur des énoncés de principes généraux pour faire valoir l’intérêt du public [traduction] « relativement à des questions de santé, sécurité, moralité, confort ou commodité » qui vont bien au-delà du droit d’accès public3. Ce faisant, ils évitent d’avoir à prouver que le défendeur a enfreint une obligation ou une norme de diligence, comme l’exige le droit de la négligence.

Sans utiliser l’expression « nuisance publique », le droit civil québécois prévoit des recours similaires sous l’effet combiné de l’article 1457 du Code civil du Québec et de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Selon l’article 49 de la Charte québécoise, « [u]ne atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte ». Ces intérêts protégés peuvent inclure divers droits publics, comme le droit de vivre dans un environnement sain prévu par l’article 46.1 de la Charte québécoise.

Les risques de litige pour nuisance publique

Les allégations de nuisance publique dans les actions collectives et les litiges délictuels de masse offrent un droit d’action défendable fondé sur l’interférence présumée avec des droits publics généraux, plutôt que sur un préjudice individuel. Cela a deux conséquences majeures pour les entreprises canadiennes.

Tout d’abord, les actions en nuisance publique peuvent être intentées par des personnes ou des entités avec lesquelles l’entreprise n’a jamais eu de relations. En 2019, la Cour supérieure du Québec a ainsi autorisé les résidents du Québec à exercer un recours contre Volkswagen Group Canada en vertu du droit public à la qualité de l’environnement, même s’ils n’avaient pas acheté d’automobile Volkswagen. Il s’agissait d’une action collective au nom de tous les résidents du Québec alléguant que les véhicules vendus par Volkswagen Group Canada auraient causé une augmentation des émissions d’oxydes d’azote, violant le droit à la qualité de l’environnement garanti par la Charte québécoise. Tout en admettant que cette décision puisse élargir la notion d’intérêt pour agir, la Cour supérieure du Québec a reconnu que le droit public à un environnement sain permet à tous les résidents du Québec, même ceux qui n’avaient pas acheté de véhicule Volkswagen, d’intenter une action contre l’entreprise. La Cour d’appel du Québec a rejeté la demande de permission d’appeler et la Cour suprême du Canada a confirmé ce rejet4.

La nuisance publique est aussi invoquée dans des actions en responsabilité du fait des produits visant à obtenir une indemnisation indirecte pour les effets sociaux d’un produit. Ainsi, en 2021, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté une action en nuisance publique contre Smith & Wesson concernant la conception d’une arme de poing qui avait été utilisée lors d’une fusillade5. De même, en 2022, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté des actions en nuisance publique déposées contre des fabricants d’analgésiques opioïdes, alléguant que la dépendance aux opioïdes portait atteinte aux droits du public à la santé et à la sécurité6. Malgré l’échec de ces actions, les avocats en demande persistent à délaisser le droit d’action privé et à invoquer plutôt la nuisance publique comme cause d’action dans les actions collectives et les litiges délictuels de masse.

L’avenir des actions en nuisance publique au Canada

Suivant la tendance aux États-Unis, nous nous attendons à voir un nombre croissant de recours liés à l’environnement, à la responsabilité du fait des produits et à la santé, alléguant à la fois des atteintes aux droits publics et privés. Bien souvent, les actions collectives suivent de près les enquêtes réglementaires ou les actions en recouvrement intentées par le gouvernement. Ainsi, en novembre 2024, la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité d’une loi de 2018 de la Colombie-Britannique permettant à plusieurs provinces de se joindre à un même recours collectif contre les fabricants d’analgésiques opioïdes, qui a jeté les bases d’une bonne partie des litiges liés aux opioïdes au Canada7.

Cette tendance risque de se poursuivre dans d’autres domaines liés à la santé. En juin 2024, la Colombie-Britannique a déposé un recours collectif proposé au nom de tous les gouvernements provinciaux et municipaux du Canada contre divers fabricants de produits contenant des substances polyfluoroalkylées (PFAS) au Canada, invoquant la nuisance publique entre autres causes d’action, au motif que la [traduction] « contamination par les PFAS » aurait interféré avec « l’intérêt du public canadien relativement à des questions de santé, sécurité, moralité, confort ou commodité et au droit à une eau potable »8. Cette procédure a été suivie de près par des recours collectifs proposés en Ontario et en Colombie-Britannique au nom de propriétaires de puits privés, invoquant la nuisance publique et alléguant une interférence avec le droit public à une eau potable9. Une procédure semblable a été déposée au Québec en vertu de la Charte québécoise10.

L’interférence alléguée de contaminants avec le droit général du public à la santé pourrait concerner divers secteurs, dont les cosmétiques, les produits de santé et les produits alimentaires, les substituts de tabac et les produits à base de cannabis, les biens de consommation et les plastiques jetables11.

La nuisance publique pourrait aussi être de plus en plus invoquée relativement à des produits incorporels comme les logiciels et les applications de médias sociaux. Par exemple, en 2024, un groupe de conseils scolaires de l’Ontario a intenté des actions contre diverses sociétés de médias sociaux faisant valoir la nuisance publique, entre autres causes d’action, et alléguant une interférence avec le droit à une éducation publique dans un environnement sécuritaire et sain12. Des actions alléguant une atteinte à la santé publique pourraient aussi viser d’autres industries.

L’importance d’une réponse rapide

Les fabricants devraient se préoccuper de ces tentatives visant à repousser les limites du droit de la négligence en transformant un droit d’action privé en une action en nuisance publique. Cependant, l’application du droit de la nuisance publique aux produits et aux services de consommation n’a pas encore réussi à s’implanter au Canada. Dans ses motifs, une cour d’appel a justifié le rejet de l’action comme suit :

[Traduction] L’inconduite alléguée dans cette action relève du droit de la négligence et de la fraude, ce qui comprend la responsabilité du fait des produits et la présentation inexacte des faits. En concédant que cette conduite constitue une nuisance publique, nous repousserions les limites fixées par les principes juridiques et modifierions les fondements de l’indemnisation pour les actes répréhensibles. La nuisance publique risquerait alors d’être invoquée pour toutes les conduites fautives, alors qu’il s’agit plutôt d’une conséquence d’une action. Reconnaître la nuisance publique dans des situations analogues à celles-ci ouvrirait la porte à toutes sortes de recours jusqu’ici réglementés par le droit de la négligence13.

Cette décision et d’autres décisions récentes démontrent que la nuisance publique reste vulnérable à la contestation en amont. Les défenderesses et leurs équipes juridiques doivent agir en amont en repérant les risques et en examinant toutes les options pour réagir rapidement dès les premières phases d’un litige potentiel.


  1. Valeant Canada LP/Valeant Canada S.E.C. v. British Columbia, 2022 BCCA 366, paragr. 30.
  2. Ontario (Attorney General) v. Dieleman, 1994 CanLII 7509, paragr. 474
  3. Valeant Canada LP/Valeant Canada S.E.C. v. British Columbia, 2022 BCCA 366, paragr. 184.
  4. Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique c. Volkswagen Group Canada Inc., 2018 QCCS 174, demande de permission d’appeler à la Cour d’appel du Québec rejetée, 2018 QCCA 1034, rejet de la demande de permission d’appeler confirmé par la Cour suprême du Canada, 2019 CSC 53.
  5. Price v. Smith & Wesson Corp., 2021 ONSC 1114.
  6. Valeant Canada LP/Valeant Canada S.E.C. v. British Columbia, 2022 BCCA 366.
  7. Sanis Health Inc. c. Colombie-Britannique, 2024 CSC 40.
  8. Notice of Civil Claim, HMK v. 3M Company and others, Vancouver Registry S-244145, paragr. 130 et 133.
  9. Statement of Claim, Mead v. 3M Company et al., no de dossier CV-24-00126358-000, paragr. 72; Notice of Civil Claim, Lynch v. 3M Company and others, Vancouver Registry S-246407, paragr. 70.
  10. Demande d’autorisation, Girard v. 3M Company et al., District de Montreal No.: 500-06-001320-247.
  11. Voir par exemple la récente action en nuisance publique intentée par l’État de Californie contre Exxon Mobil concernant la promotion alléguée de plastiques à usage unique : California v. Exxon Mobil Corporation.
  12. Statement of Claim, Toronto District School Board v. Meta Platforms Inc. et al., Court File No. CV-24-00717353-000, paragr. 310.
  13. Valeant Canada LP/Valeant Canada S.E.C. v. British Columbia, 2022 BCCA 366, paragr. 204.

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