Le 4 novembre, le gouvernement fédéral a publié son budget tant attendu, Un Canada fort (le Budget 2025), dans lequel il annonce plusieurs mesures visant à favoriser la réalisation de grands projets d’immobilisations dans l’ensemble du pays. Avant le dépôt du Budget 2025, les parties prenantes du secteur ont relevé au moins trois facteurs essentiels de réussite, soit 1) réduire le fardeau réglementaire et les longs délais pour obtenir des permis; 2) stimuler les investissements du secteur privé pour répondre aux besoins en infrastructures; 3) remédier aux pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de la construction. Dans le présent bulletin, nous examinons chacun de ces défis et expliquons comment le Budget 2025 propose de les surmonter.
Ce que vous devez savoir
- Annonce du Budget 2025 : Par des investissements de portée historique sur 5 ans dans les infrastructures (115 G$), la défense et la sécurité (30 G$), et le logement (25 G$), le gouvernement souhaite stimuler les projets, catalyser les co-investissements du secteur privé et augmenter le PIB. Le gouvernement fédéral a introduit des mesures pour répondre aux préoccupations concernant l’octroi de permis, le financement et les pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de la construction.
- Octroi de permis et réforme de la réglementation : Les participants au marché ont exprimé des préoccupations quant à la longueur des délais pour obtenir des permis pour les grands projets d’infrastructures au Canada et à la complexité de la réglementation applicable. Le Bureau des grands projets (BGP), qui a été créé avant le Budget 2025, a pour mission de réduire les délais et la complexité dans la délivrance des permis. Le Budget 2025 renforce ce mandat en proposant une loi visant à accorder au BGP une plus grande indépendance et une plus grande flexibilité et en lui confiant la responsabilité de mener un examen complet des processus réglementaires afin de réduire les formalités administratives et d’accélérer les projets d’intérêt national. Le Budget 2025 propose également une nouvelle loi pour accélérer le développement du train à grande vitesse Alto, premier train à grande vitesse du Canada, qui reliera Toronto à la ville de Québec. Bien que ces propositions soient prometteuses, sans détails supplémentaires sur les programmes et les lois proposés, il est impossible de déterminer si ces initiatives seront suffisantes pour remédier aux goulets d’étranglement réglementaires et aux longs délais d’octroi des permis au Canada.
- Financement et investissement : Le Budget 2025 propose de porter le financement total de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) à 45 G$, d’établir un cadre de financement stratégique pour les sociétés d’État et d’accorder un financement important pour les infrastructures dans des domaines prioritaires, notamment le logement, les projets régionaux et locaux, les soins de santé, la défense, le Nord et la capacité de calcul de l’IA. Le Budget 2025 met également l’accent sur la participation des provinces et la stimulation des investissements du secteur privé par l’intermédiaire de programmes tels que le Fonds pour bâtir des collectivités fortes, qui lie le financement fédéral aux contributions provinciales ou privées. L’équilibre entre les projets d’infrastructures locaux à court terme et les projets d’infrastructures nationaux à plus long terme semble judicieux, mais des précisions seront nécessaires pour être en mesure de déterminer si ces initiatives parallèles sont viables à une échelle beaucoup plus importante.
- Main-d’œuvre et compétences : Deloitte estime que le Canada aura besoin de 410 000 à 520 000 travailleurs supplémentaires dans le secteur de la construction d’ici 2030 pour répondre à l’augmentation prévue du nombre de projets. À cet égard, le Budget 2025 propose 1) des modifications au Code canadien du travail visant à restreindre les clauses de non-concurrence pour les entreprises sous réglementation fédérale; 2) l’établissement du Fonds d’action pour la reconnaissance des titres de compétences étrangers dans lequel 97 M$ seront versés pour garantir que l’immigration contribue à combler les pénuries de main-d’œuvre; 3) un investissement de 75 M$ dans la formation en milieu syndical des apprentis. Ces initiatives sont un bon point de départ pour s’attaquer au manque de main-d’œuvre dans le secteur de la construction, mais il reste à voir si elles permettront de combler l’écart prévu, et le cas échéant, à quelle vitesse.
- Prochaines étapes du processus budgétaire : Maintenant que le gouvernement a déposé le Budget 2025, un projet de loi d’exécution du budget suivra, qui comprendra probablement des avant-projets de loi sur les modifications législatives annoncées. Comme le gouvernement est minoritaire, leur adoption nécessitera le soutien de tous les partis.
Trois défis : comment le Budget 2025 propose de les surmonter
Premier défi : le processus réglementaire et l’octroi de permis
Les participants au marché ont exprimé des préoccupations quant à la longueur des délais pour obtenir des permis pour les grands projets d’infrastructures au Canada et à la complexité de la réglementation applicable. Selon le rapport final du Conseil consultatif canadien de l’électricité, le Canada se classe à l’avant-dernière place des pays de l’OCDE en ce qui concerne le délai pour obtenir un permis de construction général1. De plus, le Budget 2025 indique que le fardeau réglementaire fédéral a augmenté de 37 % entre 2006 et 2021. Le gouvernement fédéral a porté une attention particulière à cette question, notamment par l’introduction de la Loi visant à bâtir le Canada (la Loi) et la création du BGP. En désignant certains projets comme étant d’intérêt national, la Loi a pour objet d’accélérer les processus réglementaires et de renforcer « la certitude réglementaire et la confiance des investisseurs, tout en protégeant l’environnement et en respectant les droits des peuples autochtones2 ». Les promoteurs ont accueilli favorablement ces nouvelles mesures, mais reste à voir si celles-ci seront pleinement efficaces pour réduire la complexité de la réglementation et les délais d’obtention des permis.
Le Budget 2025 introduit plusieurs initiatives visant à accélérer le développement de grands projets, à simplifier les processus réglementaires et à renforcer la consultation des Autochtones. En voici quelques-unes :
- Introduction d’une loi visant à accorder une plus grande indépendance et une plus grande flexibilité au BGP : Le Budget 2025 met l’accent sur le rôle central que joue le BGP dans la réforme réglementaire et la coordination des projets3. Le gouvernement a l’intention d’introduire une loi accordant au BGP « une indépendance accrue et une souplesse administrative » qui « facilitera […] ses travaux pour faire progresser les grands projets tout en simplifiant l’approbation réglementaire fédérale des projets4 ».
- Examen de la réglementation et coordination du financement : Le BGP mènera un examen complet des processus réglementaires afin de réduire les formalités administratives et d’accélérer les projets d’intérêt national. Le Budget 2025 accorde 213,8 M$ sur cinq ans au GPO et à ces travaux5. Le BGP aidera également à structurer et à coordonner le financement provenant du secteur privé et public, y compris par l’entremise de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), du Fonds de croissance du Canada et de la Corporation de garantie de prêts pour les Autochtones du Canada6. Ces mesures devraient améliorer la coordination du financement public.D’autres détails devraient être communiqués prochainement en ce qui concerne le processus prévu pour la coordination du financement privé.
- Accélération du développement du train à grande vitesse Alto : Le Budget 2025 propose d’introduire une nouvelle loi pour accélérer le développement du train à grande vitesse Alto, premier train à grande vitesse du Canada, qui reliera Toronto à la ville de Québec. Le projet devrait créer 51 000 emplois en construction et injecter 35 G$ dans le PIB du Canada. Les détails sur la loi proposée sont limités : le résumé des répercussions sur le genre et la diversité est la seule section du Budget 2025 qui indique que la nouvelle loi visera à « simplifier les processus d’approbation et à diminuer les incertitudes réglementaires du projet7 ».
- Renforcement de la consultation des Autochtones : Le Budget 2025 renforce la consultation des Autochtones en continuant de soutenir le Conseil consultatif autochtone, qui appuie le BGP, ainsi qu’en fournissant 10 M$ sur trois ans pour l’Initiative fédérale sur la consultation et 40 M$ sur deux ans pour l’Initiative sur les partenariats stratégiques8.
- Ententes de coopération : Le Budget 2025 met également l’accent sur l’utilisation d’ententes de coopération fédérales-provinciales en vertu des articles 16 et 31 de la Loi sur l’évaluation d’impact afin de simplifier les évaluations de projets selon une approche « un projet, une évaluation ». Ces ententes permettent la prise de décisions précoces et une substitution entière afin d’harmoniser les processus provinciaux9.
Le Budget 2025 comporte de bons objectifs : accélérer la délivrance des permis par l’entremise de réformes ciblées. Bien que les propositions soient prometteuses, sans détails supplémentaires sur les programmes et les lois proposés, il est actuellement impossible de déterminer si ces initiatives seront suffisantes pour remédier aux goulets d’étranglement réglementaires et aux longs délais d’octroi des permis au Canada.
Deuxième défi : le financement public et les investissements privés
Les participants au marché ont exprimé leur désir de comprendre comment les grands projets d’infrastructures seront financés. Qui dit objectifs ambitieux, dit besoins importants en capitaux. Par exemple, selon un récent rapport de RBC, le Canada aura besoin de nouveaux investissements d’environ 2 T$ au cours des 30 prochaines années pour moderniser ses infrastructures énergétiques et passer à l’énergie propre, en plus des besoins plus généraux en matière d’infrastructures auxquels il doit répondre10. Bien que les gouvernements soient bien placés pour investir directement dans le développement de projets d’infrastructures en raison de leur plus grande tolérance au risque, les fonds publics ne suffiront pas à eux seuls à réaliser l’ambitieux programme d’infrastructures du Canada. Les capitaux privés sont disponibles en abondance lorsque les projets sont structurés de manière efficace. Le gouvernement fédéral doit tirer parti de sa position unique en investissant directement dans les projets afin de réduire l’inertie et d’atténuer les risques les plus importants qui existent au début des projets, tout en créant les conditions favorables qui attirent les investissements privés et provinciaux au lieu de les évincer.
Le gouvernement fédéral a fait plusieurs annonces de financement prébudgétaire concernant de grands projets et des mesures pour encourager les infrastructures, y compris 2 G$ pour appuyer la construction de petits réacteurs nucléaires à Darlington, en Ontario, ainsi que 370 M$ pour mettre en place une nouvelle mesure incitative pour la production de biocarburants. Si ces engagements promettent d’importants investissements publics, les participants au marché souhaitent comprendre comment le gouvernement entend encourager les investissements privés pour soutenir les initiatives à grande échelle.
En plus des nombreuses nouvelles mesures fiscales destinées à encourager les investissements privés, le Budget 2025 présente une série d’initiatives visant à renforcer le financement des infrastructures, à améliorer la coordination entre les sociétés d’État et à soutenir les investissements à long terme dans les infrastructures. Voici quelques-unes de ces initiatives :
- « Investir dans les infrastructures pour les générations à venir » : Le Budget 2025 prévoit des investissements fédéraux dans les infrastructures de 115 G$ au cours des cinq prochaines années11. De cette somme, 5 G$ seront versés sur sept ans au Fonds pour la diversification des corridors commerciaux, qui appuiera les infrastructures portuaires, aéroportuaires et ferroviaires afin d’améliorer l’accès aux marchés internationaux12, et 51 G$ sur dix ans au Fonds pour bâtir des collectivités fortes, qui soutiendra un large éventail de projets d’infrastructures régionaux et locaux13. Le Budget 2025 prévoit également 25 G$ pour des initiatives en matière de logement, y compris le lancement de Maisons Canada14. Enfin, le Budget 2025 alloue 30 G$ sur cinq ans à un ensemble plus large de mesures de défense, dont 1 G$ sur quatre ans à Transports Canada pour créer le Fonds d’infrastructure pour l’Arctique. Ce fonds soutiendra des projets de transport dans le Nord pouvant avoir un usage à la fois civil et militaire15.
- Fonds pour bâtir des collectivités fortes : Selon le Budget 2025, 51 G$ seront versés sur dix ans au Fonds pour bâtir des collectivités fortes, qui soutiendra un large éventail de projets d’infrastructures régionaux et locaux16. Ce nouveau fonds comporte trois volets, dont deux nécessitent des co-investissements de la part d’autres parties17. Le volet provincial et territorial du fonds (17 G$ sur dix ans) exige des provinces et des territoires qu’ils réalisent des investissements égaux à ceux du gouvernement fédéral, une mesure visant à inciter la participation des gouvernements provinciaux. En outre, pour que les promoteurs soient admissibles à du financement au titre du volet de prestation directe (6 G$ sur dix ans), ils doivent solliciter des investissements du secteur privé, y compris des investissements privés obtenus par l’intermédiaire du financement de la BIC18.
- Leadership et coordination des sociétés d’État : Le Budget 2025 accorde une importance accrue aux principales entités fédérales de financement, notamment le Fonds de croissance du Canada, la BIC et Exportation et développement Canada. Outre le rôle de coordination du BGP, le gouvernement a l’intention de fournir une orientation aux sociétés d’État par l’intermédiaire d’un cadre de financement stratégique. L’objectif est d’assurer une meilleure coordination et de veiller à ce que ces entités « accordent la priorité aux projets d’intérêt national, dans la mesure du possible19 ».
- Augmentation du financement total de la BIC et de la portée de ses activités : Le gouvernement propose de modifier la Loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada afin de faire passer de 35 à 45 G$ le financement total de la BIC. Cette augmentation permettra à la BIC d’investir dans les projets d’intérêt national recommandés par le BGP, à condition que ces projets relèvent du mandat légal de la Banque, ce qui créera davantage de possibilités de partenariats avec le secteur privé20. En outre, le gouvernement a annoncé son intention de permettre à la BIC d’investir dans des projets d’infrastructures d’IA21.
- Autorisation des prêts aux entités autochtones à vocation spéciale : Le gouvernement a l’intention de modifier la Loi sur la gestion financière des Premières Nations afin de permettre à l’Administration financière des Premières Nations d’accorder des emprunts aux entités autochtones à vocation spéciale. Cette modification améliorera l’accès au capital pour les groupes autochtones qui souhaitent obtenir une participation financière dans les projets de développement.
À l’instar des budgets précédents, le Budget 2025 met l’accent sur le financement fédéral des programmes d’infrastructures. Toutefois, il marque également un changement de direction grâce à des mesures telles que la coordination des sociétés d’État fédérales par l’intermédiaire d’un cadre de financement stratégique et l’élargissement du rôle de la BIC, qui visent toutes deux à encourager les investissements privés dans les infrastructures. En outre, en établissant des programmes tels que le Fonds pour bâtir des collectivités fortes, qui lie le financement fédéral aux contributions provinciales ou privées, le gouvernement fédéral signifie son désir de voir d’autres investisseurs à la table des négociations.
Troisième défi : le manque de main-d’œuvre et la formation professionnelle
Les ambitions du Canada en matière d’infrastructures se heurtent non seulement à des contraintes réglementaires et financières, mais aussi à des pénuries de main-d’œuvre. Deloitte estime que le Canada aura besoin de 410 000 à 520 000 travailleurs supplémentaires dans le secteur de la construction d’ici 2030, ce qui représente une hausse d’un tiers de la main-d’œuvre actuelle de 1,7 million de personnes22. Plusieurs solutions ont été proposées, notamment la diversification de la main-d’œuvre dans les métiers, l’amélioration de la reconnaissance des titres de compétences pour les immigrants et l’extension des programmes de formation des apprentis. Le Budget 2025 propose de surmonter ces défis par des améliorations ciblées de la mobilité de la main-d’œuvre, la reconnaissance des titres de compétences étrangers et la formation :
- Limitation des clauses de non-concurrence : Le Budget 2025 propose de modifier le Code canadien du travail pour restreindre le recours aux clauses de non-concurrence dans les contrats de travail des entreprises sous réglementation fédérale. L’objectif est de renforcer la mobilité de la main-d’œuvre et d’améliorer l’efficacité du marché en permettant aux travailleurs de changer d’employeur plus librement. Les consultations publiques sur les modifications proposées commenceront au début de 202623.
- Établissement du Fonds d’action pour la reconnaissance des titres de compétences étrangers. Le Budget 2025 introduit un nouveau fonds de 97 M$ sur cinq ans pour accélérer la reconnaissance des titres de compétences des travailleurs formés à l’étranger en mettant l’accent sur les secteurs de la santé et de la construction24. Cette mesure vise à garantir que l’immigration contribue à combler les pénuries de main-d’œuvre.
- Élargissement du Programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical. Le Budget 2025 alloue 75 M$ sur trois ans pour élargir ce programme qui soutient la formation des apprentis en milieu syndical dans les métiers désignés Sceau rouge25.
Si le Budget 2025 prévoit des mesures pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de la construction, il introduit également des politiques susceptibles de créer des pressions contradictoires. Par exemple, le Budget propose de stabiliser les admissions de résidents permanents au cours des trois prochaines années tout en réduisant considérablement les admissions de résidents temporaires, les faisant passer de 673 000 en 2025 à 385 000 en 2026, ce qui représente une diminution de près de 57 %26. De plus, le gouvernement fédéral accorde une plus grande importance au recrutement de chercheurs étrangers au Canada en lançant la Stratégie d’attraction des talents internationaux et le plan d’action connexe27. Ces initiatives sont un bon point de départ pour s’attaquer au manque de main-d’œuvre dans le secteur de la construction, mais il reste à voir si elles permettront de combler l’écart prévu, et le cas échéant, à quelle vitesse.
Prochaines étapes
Après la publication du Budget 2025, un projet de loi d’exécution du budget sera présenté à la Chambre des communes. Ce projet de loi devrait inclure les modifications législatives proposées, telles que les changements à la Loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada et l’élargissement du mandat du BGP. Comme le parti au pouvoir ne détient qu’une minorité de sièges, le soutien des autres partis sera nécessaire pour que le projet de loi soit adopté. Dans la foulée des investissements de portée historique prévus par le Budget 2025, les acteurs du secteur devraient rester attentifs à ses principales mesures et suivre l’évolution du projet de loi. Chose certaine, les promoteurs de projets se trouvent actuellement à un moment charnière pour saisir les nouvelles occasions qui se présentent dans le réseau d’infrastructures du Canada.