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Structurer un fonds à vocation sociale : ce qui les distingue des fonds d’investissement traditionnels

Bien que les initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) fassent l’objet de plus en plus de critiques dans certains territoires, l’investissement à vocation sociale se porte bien au Canada et constitue souvent une composante importante de certains portefeuilles institutionnels. Dans cet article, nous présentons les principales différences structurelles et juridiques entre les fonds d’investissement à vocation sociale et les fonds d’investissement institutionnels traditionnels, et nous expliquons pourquoi ces véhicules de plus en plus sophistiqués doivent faire l’objet d’une attention particulière.

Ce que vous devez savoir

  • Si, aujourd’hui, de nombreux fonds mettent en avant leurs caractéristiques liées aux facteurs ESG, les fonds à vocation sociale se distinguent en plaçant les « objectifs d’investissement durable » au cœur même de leur stratégie d’investissement, en cherchant à obtenir des retombées mesurables sur des enjeux tels que l’identité de genre, la diversité ou les facteurs environnementaux, et ce tout en générant des rendements financiers.
  • Certains fonds à vocation sociale liés aux changements climatiques peuvent être un outil puissant pour les investisseurs institutionnels qui cherchent à atteindre des objectifs de carboneutralité ou à satisfaire à des exigences réglementaires.
  • Alors que le secteur de l’investissement à vocation sociale gagne en maturité, il est impératif de pouvoir recourir à des méthodes crédibles et normalisées pour évaluer les répercussions. Les gestionnaires doivent adopter des cadres de mesure normalisés et examiner attentivement les documents de marketing pour s’assurer que le fonds ne tombe pas sous le coup d’accusations de fausse représentation de leurs retombées ou d’« écoblanchiment ». Les gestionnaires et les investisseurs devraient s’assurer que les modalités des fonds prévoient des mécanismes pour garantir la reddition de comptes en ce qui concerne les objectifs de retombées pertinents du fonds et s’assurer que ceux-ci sont proportionnels au but recherché.

Qu’est-ce qu’un fonds à vocation sociale? 

Au Canada, il n’existe pas de cadre réglementaire définissant ce qu’est un fonds à vocation sociale, mais on peut généralement considérer que le concept englobe tous les fonds d’investissement qui démontrent une intention d’avoir des retombées non financières (telles que le développement durable) concrètes et mesurables. Aux fins du présent article, nous nous concentrons principalement sur les fonds d’investissement que l’on pourrait raisonnablement considérer comme relevant de l’article 9 du Règlement de l’UE sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers, dans la mesure où ils poursuivent un objectif d’« investissement durable »1 : cela peut inclure des fonds qui poursuivent des objectifs d’équilibre entre les genres et de diversité, ainsi que des fonds ayant une orientation climatique ou environnementale.

Ces véhicules d’investissement sont conçus pour atteindre des objectifs de retombées sociales spécifiques tout en générant des rendements financiers, et non l’inverse. Contrairement aux placements traditionnels, qui peuvent considérer les facteurs ESG comme accessoires, les fonds à vocation sociale placent ces objectifs au cœur même de leur stratégie d’investissement et veillent à ce que leurs résultats soient mesurables. Les gestionnaires de ce type de fonds élaborent généralement une théorie du changement claire, qui décrit la manière dont les investissements permettront d’obtenir des résultats concrets et spécifiques, et mesurent ensuite les progrès accomplis vers la réalisation de ces résultats.

Si les rendements des investissements peuvent être (et sont généralement) toujours pertinents pour les investisseurs qui investissent dans des fonds à vocation sociale, ils ne sont généralement pas leur motivation principale. Dans certaines situations, comme dans le cas des fonds liés aux changements climatiques, l’objectif principal sera d’accéder à certains types d’incitatifs. Dans d’autres cas (par exemple, les fonds auxquels participent des investisseurs gouvernementaux), l’objectif principal sera de s’assurer que le fonds a des retombées qui n’auraient pas eu lieu sans ces investissements. L’information fournie par le gestionnaire de fonds pourrait donc faire l’objet d’un examen plus approfondi que pour d’autres types de fonds. Les investisseurs souhaitant placer leur capital dans de tels fonds doivent s’assurer de bien comprendre la hiérarchie des considérations qui guideront les décisions du gestionnaire et influenceront l’exercice de ses fonctions à l’égard du fonds, et que celles-ci cadrent avec leurs propres objectifs.

Fonds à vocation sociale liés aux changements climatiques : des caractéristiques et des incitatifs uniques pour les investisseurs

Les fonds à vocation sociale liés aux changements climatiques sont une catégorie spécialisée qui gagne en importance dans l’écosystème des placements à vocation sociale. Ces véhicules sont structurés de manière à obtenir des résultats environnementaux mesurables, principalement liés à la réduction des émissions ou à l’adaptation aux changements climatiques, tout en générant des rendements financiers compétitifs. Il arrive aussi qu’on les présente comme des outils de gestion des risques liés à la transition, qui permettent de réattribuer les capitaux en évitant les actifs vulnérables à la réglementation climatique ou susceptibles de devenir des actifs condamnés.

Une caractéristique distinctive des fonds à vocation sociale liés aux changements climatiques est leur potentiel de participation aux marchés du carbone. Beaucoup de ces fonds investissent directement dans des projets qui génèrent des crédits carbone vérifiés, tels que les crédits générés par des solutions fondées sur la nature, des projets industriels de captage et de piégeage du carbone, ou des technologies émergentes telles que la capture directe dans l’air et le piégeage connexe.

Il arrive donc souvent qu’on vende les fonds à vocation sociale liés aux changements climatiques à des investisseurs institutionnels qui cherchent à atteindre leurs propres objectifs de carboneutralité ou à satisfaire à des exigences réglementaires. Les gestionnaires de fonds tenteront parfois d’attirer ces investisseurs en leur offrant un accès préférentiel aux crédits carbone, par exemple en leur permettant de les acheter ou en prévoyant de les transférer au moyen d’une distribution en nature. Dans de telles circonstances, les gestionnaires doivent veiller à prendre en considération les complexités et les exigences qui peuvent être liées à l’origine, à l’enregistrement, à la transférabilité et à la monétisation des crédits afin, d’une part, d’éviter de se retrouver dans une situation où ils ne seraient pas en mesure de respecter les engagements pris lors de la création du fonds, et d’autre part, d’être en mesure de déclarer adéquatement tout risque connexe.

Un autre outil de marketing à disposition des promoteurs de fonds est l’utilisation d’obligations vertes et d’obligations liées au développement durable au sein des portefeuilles de fonds liés aux changements climatiques ou comme instruments de mobilisation de capitaux. Pour satisfaire à la définition d’obligations vertes, ces dernières doivent consacrer leur produit net à certaines catégories de projets et d’activités environnementales admissibles, définies par des cadres tels que les lignes directrices pour l’émission d’obligations vertes de l’ICMA2.

Les obligations vertes exigent des gestionnaires de fonds qu’ils préparent des documents de placement, qu’ils assurent un suivi adéquat de l’utilisation de leurs produits et qu’ils gèrent le risque de réputation lié à la présentation d’information postérieure aux émissions. Les obligations liées au développement durable, quant à elles, intègrent des objectifs de performance environnementale directement dans leurs caractéristiques financières — par exemple, en réduisant le taux d’intérêt nominal si les réductions d’émissions sont validées. La structuration des obligations liées au développement durable exige de porter une attention particulière à la définition des objectifs, à la validation par des tiers et aux conséquences en cas de non-respect des ICP environnementaux.

Bien que les obligations liées au développement durable ne soient pas utilisées exclusivement par des fonds d’investissement, elles peuvent être émises par des fonds à vocation sociale liés aux changements climatiques qui cherchent à obtenir du capital supplémentaire (en plus des placements en actions traditionnels). Elles peuvent être émises à l’intention des mêmes investisseurs selon un ratio prédéterminé, ou à l’intention de différents types d’investisseurs. Dans les deux cas, le fonds devra communiquer de manière adéquate la méthode de distribution prévue de ces différents types d’instruments.

L’importance croissante de la présentation d’information sur les retombées sociales

La présentation d’information fait l’objet d’un examen plus approfondi lorsqu’il est question de fonds à vocation sociale. Alors que le secteur gagne en maturité, on cherche à recourir à des méthodes crédibles et standardisées pour évaluer les répercussions. Les investisseurs et les parties prenantes exigent de plus en plus de transparence et de reddition de comptes pour s’assurer que les fonds tiennent leurs promesses. Pour valider que les retombées indiquées sont réelles et non simplement des intentions, les fonds à vocation sociale se tournent de plus en plus vers des cadres de mesure normalisés. Ces outils permettent aux investisseurs d’évaluer l’efficacité de leurs placements pour atteindre les objectifs fixés.

Des cadres tels que le cadre IRIS+3 et la méthodologie COMPASS4 du GIIN, les Normes universelles de gestion de la performance sociale et environnementale5 et les cinq dimensions de l’impact6 de l’Impact Management Project fournissent des normes et des structures de données communes permettant d’évaluer les progrès réalisés dans certains domaines. Ces normes facilitent la comparabilité des placements à vocation sociale et guident la prise de décision en permettant des analyses fondées sur les données.

Malgré les progrès en matière de présentation de l’information, certains défis persistent dans le secteur, notamment le risque de fausse représentation des retombées, ou d’« écoblanchiment », soit les cas où les fonds surestiment leurs contributions sociales ou environnementales. En juin 2024, le Canada a adopté des dispositions spécifiques contre l’écoblanchiment dans la Loi sur la concurrence ciblant les déclarations qui mettent en avant les avantages environnementaux de produits ou d’activités commerciales, bien que le récent projet de loi d’exécution du budget fédéral propose d’atténuer certaines de ces dispositions7.

En revanche, les États-Unis ont récemment adopté une approche réglementaire plus souple. Plus tôt cette année, la Securities and Exchange Commission (SEC) a annoncé le retrait de sa proposition de 2022 contre l’écoblanchiment8, qui aurait exigé des conseillers en placement inscrits, de certains conseillers dispensés, des sociétés de placement enregistrées et des sociétés de développement des affaires qu’ils communiquent de l’information supplémentaire concernant leurs pratiques d’investissement liées aux facteurs ESG. Bien que ce changement témoigne d’un recul généralisé par rapport à l’approche prescriptive adoptée par l’administration précédente, la SEC a reconnu la possibilité d’élaborer de nouvelles règles, et tout changement dans le leadership fédéral pourrait avoir un impact important sur l’orientation finale de la réglementation en matière de facteurs ESG aux États-Unis. Dans l’intervalle, les conseillers en placement ne doivent pas supposer que la SEC s’abstiendra de prendre des mesures de mise en application en cas de déclarations erronées concernant des facteurs ESG.

En ce qui concerne les fonds à vocation sociale, le risque d’atteinte à la réputation découlant de la présentation d’information inexacte sur les retombées sociales peut être important, même en l’absence de mesures réglementaires.

Compte tenu de ces préoccupations, les gestionnaires doivent prendre des mesures pour éviter de fournir de l’information trompeuse ou de faire des déclarations non fondées sur les pratiques, le rendement, les produits ou les accréditations du fonds en matière d’ESG. Il est également important que les documents de marketing indiquent de manière détaillée la façon dont le fonds a l’intention d’évaluer et de mesurer l’atteinte des objectifs ESG et d’en rendre compte. Dans le contexte d’un fonds à vocation sociale, il est essentiel de bien exposer comment le gestionnaire équilibrera les objectifs financiers (et toute volonté de générer des rendements) avec les objectifs de retombées sociales afin d’établir clairement les attentes des investisseurs.

Du point de vue de l’investisseur, une diligence raisonnable adéquate reste essentielle, mais de nombreux investisseurs institutionnels voudront se protéger davantage contre ces risques en demandant au gestionnaire du fonds d’obtenir des vérifications de tiers, lorsqu’elles sont disponibles, ou d’accepter, dans certaines circonstances, de se soumettre à des vérifications ou à des audits rigoureux.

Qui plus est, pour un fonds à vocation sociale, la présentation des mesures des retombées sociale n’est souvent pas seulement une question de transparence, mais aussi de reddition de comptes. Dans les cas où le promoteur ou le gestionnaire du fonds n’est pas en mesure d’atteindre certains paramètres ou objectifs mesurables, il n’est pas rare que la documentation du fonds, qu’il s’agisse de la convention de société en commandite en soi ou de lettres accessoires adressées à certains investisseurs, précise des conséquences ou accorde certains droits aux investisseurs. Ces mesures peuvent aller jusqu’à l’imposition d’une réduction sur l’intéressement du gestionnaire ou à la possibilité pour les investisseurs de mettre fin à la période d’investissement, voire au fonds lui-même, sous réserve de l’appui d’une part suffisante des commanditaires. Ces mesures sont souvent personnalisées en fonction de l’importance des objectifs de retombées sociales concernés par rapport à la stratégie du fonds. Les promoteurs de fonds et les investisseurs doivent donc bien comprendre les normes applicables en matière de présentation d’information sur les retombées sociales afin d’éviter toute conséquence involontaire et de s’assurer de leur adéquation à l’intention recherchée.

L’importance de cette présentation de l’information place également souvent le personnel responsable des mesures d’ESG au premier plan de la stratégie du fonds. Ces personnes peuvent ainsi jouer un rôle important dans le contrôle diligent opérationnel d’un investisseur; dans certains cas, des dirigeants responsables des mesures ESG pourraient même être visés par certaines dispositions ou considérations relatives aux « employés clés ».

Principaux points à retenir

Bien que les fonds à vocation sociale ressemblent souvent aux fonds d’investissement institutionnels traditionnels, ce sont des véhicules de plus en plus sophistiqués qui nécessitent des combinaisons inédites de modélisation financière, de présentation d’information et de reddition de comptes. Une structuration adéquate est essentielle pour garantir que ces fonds atteignent non seulement leurs objectifs, mais aussi leurs obligations juridiques envers les investisseurs.

Pour les investisseurs et les conseillers juridiques, il est essentiel de comprendre les nuances des structures des fonds à vocation sociale, les méthodes de mesure et l’évolution du secteur. À mesure que le secteur continue de se développer, une gouvernance solide et une présentation transparente de l’information seront essentielles pour maintenir la confiance et mettre en œuvre des changements significatifs.


  1. Règlement (UE) 2019/2088 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.
  2. International Capital Market Association, Green Bond Principles: Voluntary Process Guidelines for Issuing Green Bonds, juin 2025.
  3. GIIN, IRIS+ Standards, 2025.
  4. Impact Frontiers, Five Dimensions of Impact.
  5. U.S. Securities and Exchange Commission, Withdrawal of Proposed Regulatory Actions, juin 2025.

Si vous souhaitez discuter ces enjeux et ces questions, veuillez contacter les auteurs.

Cette publication se veut une discussion générale concernant certains développements juridiques ou de nature connexe et ne doit pas être interprétée comme étant un conseil juridique. Si vous avez besoin de conseils juridiques, c'est avec plaisir que nous discuterons les questions soulevées dans cette communication avec vous, dans le cadre de votre situation particulière.

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