12 mai 2025Calcul en cours...

Absence de préjudice et de faute : la Cour d’appel de l’Ontario refuse de certifier un recours collectif pour perte économique pure

Dans l’affaire North v. Bayerische Motoren Werke AG1, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté une ordonnance certifiant un recours collectif en responsabilité du fait du produit au motif que les pertes économiques pures des demandeurs n’étaient pas recouvrables parce que les représentants proposés des demandeurs n’ont pas engagé de coûts pour réparer ou éliminer un défaut dangereux.

La décision met en évidence le niveau élevé des exigences à satisfaire pour réclamer des pertes recouvrables fondées sur la négligence lorsque le dommage touche seulement le produit lui-même, ainsi que la nécessité que le représentant des demandeurs dépose une cause d’action valable à l’égard des pertes alléguées.

Ce que vous devez savoir

  • La diminution de valeur n’est pas recouvrable dans le cadre des actions pour négligence. Les coûts de réparation d’un produit défectueux ne peuvent pas être recouvrés dans le cadre d’une action pour négligence, sauf s’ils ont été engagés pour prévenir un danger réel, actuel et sérieux auquel seraient exposés des personnes ou d’« autres biens ». La perte de valeur du produit lui-même n’est pas recouvrable.
  • Un « dommage catastrophique » est un désavantage, et non un atout. Lorsqu’un produit est déjà inutilisable en raison d’un défaut, il est beaucoup plus difficile de faire valoir que des réparations sont nécessaires pour prévenir un danger. Par exemple, un moteur ayant subi un dommage catastrophique ne peut plus être utilisé; il n’y a donc probablement plus de risque pour la vie ou l’intégrité physique et, par conséquent, aucun danger à éviter.
  • Un produit est la somme de ses composants. Lorsque, comme en l’espèce, un composant (une partie du moteur) est défectueux et endommage d’autres composants (le reste du moteur) du produit (le véhicule), le demandeur ne peut obtenir le remboursement du coût de remplacement du produit en le « segmentant artificiellement » en composants distincts. Les autres composants du produit ne sont pas d’« autres biens » ayant été endommagés.
  • Il n’existe pas de devoir d’informer les clients d’une diminution de valeur. Lorsque les demandeurs intentent des actions fondées sur un manquement au devoir de mise en garde en soutenant qu’ils n’auraient pas acheté le produit s’ils avaient été informés (c’est-à-dire lorsqu’ils invoquent une perte de valeur découlant d’un défaut non dangereux), ces actions sont irrecevables. Cela équivaudrait à un manquement au devoir d’informer les clients d’une diminution de valeur, pour lequel le défendeur ne peut pas être tenu responsable.
  • Si aucun représentant des demandeurs ne présente une réclamation valable, la certification est refusée. Un représentant des demandeurs doit avoir personnellement subi les pertes juridiquement reconnues que l’action collective cherche à réparer. Dans les allégations de défaut de produit, le simple fait de posséder un produit défectueux ne suffit pas.

Contexte : défaut allégué de moteurs automobiles

La poursuite concernait des moteurs N20 de véhicules BMW qui auraient cessé de fonctionner en raison d’un défaut du guide de chaîne de distribution, rendant nécessaire le remplacement du moteur. Même si BMW n’a reçu aucun signalement d’accident ou de dommage matériel lié au défaut présumé du guide de la chaîne de distribution, l’entreprise a offert en 2018 une garantie prolongée de sept ans pour remplacer gratuitement la chaîne de distribution de tout véhicule admissible émettant un « gémissement ». Quelque 800 propriétaires de véhicules (sur 66 000 véhicules dotés d’un moteur N20) ont profité de la garantie.

L’action collective bute sur un obstacle en première instance

Les demandeurs ont intenté une action collective contre BMW, alléguant que le défaut du guide de chaîne de distribution pouvait entraîner une perte soudaine de puissance et des dommages « catastrophiques » au moteur. Ils ont invoqué trois types de négligence relevant de la responsabilité du fait du produit : conception négligente, fabrication négligente et manquement au devoir de mise en garde.

Le juge saisi de la requête a rejeté la réclamation fondée sur le manquement au devoir de mise en garde, au motif que les demandeurs n’avaient pas présenté une cause d’action valable. En effet, ils ont seulement allégué que les véhicules valaient moins que le prix payé en raison des moteurs défectueux, et non qu’ils avaient subi des préjudices corporels ou matériels qui auraient été évités si BMW les avait mis en garde que le moteur était défectueux.

Par ailleurs, le juge a certifié les réclamations fondées sur la conception et la fabrication négligentes, mais selon un fondement plus restreint que celui proposé par les demandeurs, ne retenant que celles alléguant l’un ou l’autre des deux types de pertes suivants : 1) le coût de réparation des dommages au moteur; ou 2) le coût de réparation du moteur engagé pour prévenir des préjudices imminents aux personnes ou aux biens. Le juge a également exclu du groupe les quelque 800 propriétaires de véhicules dotés d’un moteur N20 qui se sont prévalus de la garantie dans le cadre du programme de BMW. Ces personnes n’ont subi aucune perte recouvrable, puisque les coûts de réparation étaient couverts par la garantie.

La Cour d’appel refuse la certification

Les deux parties ont fait appel de la décision.

La Cour d’appel a confirmé la décision du juge saisi de la requête : les demandeurs ne disposaient d’aucune cause d’action fondée sur un manquement au devoir de mise en garde. Elle a donc rejeté leur appel sur ce point, reconnaissant ainsi que les demandeurs n’alléguaient pas qu’une mise en garde leur aurait permis d’éviter des préjudices corporels ou matériels, mais plutôt qu’elle les aurait incités à ne pas acheter un véhicule défectueux (ou à le payer moins cher), ce qui ne constitue pas une cause d’action valable.

La Cour d’appel a aussi autorisé l’appel incident de BMW et rejeté en totalité la requête en certification des demandeurs, estimant que les défauts de fabrication et de conception allégués concernaient également des pertes économiques non recouvrables et ne constituaient pas une cause d’action valable en matière de négligence. Elle a expliqué que les réclamations fondées sur un défaut du produit visent à protéger le droit de ne pas être exposé à un danger réel et sérieux causé par la négligence, et non le droit à continuer d’utiliser le produit.

Il est bien établi qu’une perte économique pure n’est recouvrable que dans certains cas, par exemple lorsque des coûts sont engagés pour prévenir un danger réel et sérieux de préjudice corporel ou de dommages à d’« autres biens » résultant d’un défaut de conception. Les demandeurs ont tenté de satisfaire à ce critère restreint en invoquant la « théorie de la structure complexe », selon laquelle les dommages subis par un composant en raison du défaut d’un autre composant pourraient être considérés comme des dommages causés à d’« autres biens ». La Cour a rejeté cet argument, jugeant que lorsqu’un composant (la chaîne de distribution) fait partie intégrante du produit (le véhicule), le reste du produit n’est pas un « autre bien ».

La Cour d’appel a aussi jugé que la réparation d’un moteur ayant déjà subi des « dommages catastrophiques » sert principalement à le remettre en état de fonctionner, et non à éviter un danger réel et sérieux2. Quand le moteur est en panne, le véhicule ne peut plus être utilisé, et tout danger immédiat pour les personnes ou les biens qui est lié au défaut est en grande partie écarté.

En plus de conclure que la réclamation des demandeurs était irrecevable dès l’étape des plaidoiries, la Cour d’appel a estimé que le recours ne pouvait être certifié parce qu’il n’y avait pas de représentant acceptable des demandeurs, aucun des représentants proposés n’ayant engagé de coûts pour prévenir un danger réel et sérieux. Faute de représentant acceptable disposant d’une cause d’action valable pour les réclamations des membres du groupe, la certification a donc été refusée3.

Conséquences

La décision de la Cour d’appel est la bienvenue pour les défendeurs visés par des actions collectives en responsabilité du fait de produits prétendument défectueux. Dans la foulée des décisions rendues par la Cour d’appel et la Cour suprême dans l’affaire Aliments Maple Leaf4, celle rendue dans North v. Bayerische Motoren Werke AG réaffirme des principes bien établis en matière de responsabilité délictuelle et limite considérablement la portée et la validité des réclamations pour perte économique pure liées à des défauts de produit en Ontario.

Selon cette décision, les fabricants visés par des allégations de négligence liées à des défauts cachés causant des dommages uniquement au produit lui-même sont exposés à un risque limité, puisque les coûts de réparation ou d’élimination de ces défauts ne sont remboursables que lorsque ceux-ci présentent un risque clair et immédiat pour la sécurité des personnes ou pour d’autres biens.

La décision qu’a rendue le juge dans l’affaire North v. Bayerische Motoren Werke AG souligne l’importance que les fabricants prennent des mesures concrètes pour remédier aux défauts potentiels afin de réduire leur risque de faire l’objet d’une action collective. Par exemple, lorsqu’ils prennent connaissance d’un défaut de produit (non dangereux), ils peuvent offrir des garanties prolongées ou mettre en place d’autres mesures correctives pour résoudre le problème. Ce faisant, ils montrent leur engagement à assurer la satisfaction de leur clientèle et la fiabilité de leurs produits, tout en réduisant leur responsabilité juridique. Enfin, cette décision confirme qu’aux yeux des tribunaux, les clients ayant bénéficié de programmes de garantie et de réparation ne peuvent réclamer de dommages-intérêts fondés sur la négligence dans les affaires de perte économique pure.


  1. 2025 ONCA 340.
  2. Ce principe est semblable au Québec : un consommateur qui dépose une demande de réduction de son obligation doit quand même prouver qu’il a subi un préjudice, un « impact financier réel », par exemple une diminution de la valeur d’un bien, comme l’a statué la Cour d’appel dans Fortin c. Mazda, 2022 QCCA 635 (toutefois, cette décision a été rendue sur le fond et non au stade de l’autorisation comme dans la présente affaire).
  3. Ce principe s’applique aussi au Québec, voir notamment Sofio c. OCRCVM, 2015 QCCA 1820, par. 10.
  4. 1688782 Ontario Inc. v. Maple Leaf Foods Inc., 2018 ONCA 407, conf. par 2020 CSC 35.

Si vous souhaitez discuter ces enjeux et ces questions, veuillez contacter les auteurs.

Cette publication se veut une discussion générale concernant certains développements juridiques ou de nature connexe et ne doit pas être interprétée comme étant un conseil juridique. Si vous avez besoin de conseils juridiques, c'est avec plaisir que nous discuterons les questions soulevées dans cette communication avec vous, dans le cadre de votre situation particulière.

Pour obtenir la permission de reproduire l’une de nos publications, veuillez communiquer avec Janelle Weed.

© Torys, 2025.

Tous droits réservés.
 

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières nouvelles

Restez à l’affût des nouvelles d’intérêt, des commentaires, des mises à jour et des publications de Torys.

Inscrivez-vous maintenant