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Comment les entreprises canadiennes peuvent-elles tirer leur épingle du jeu en misant sur les ressources et les grands projets?
Les bureaux de Torys au Canada et à New York publient régulièrement de l’information sur les aspects juridiques des tarifs douaniers et d’autres développements possibles liés au commerce transfrontalier.
Le Canada a l’habitude de se tourner vers des projets de priorité nationale en période de volatilité. En 1866, les États-Unis se sont retirés du traité de réciprocité de 1854 (un accord de libre-échange avant l’heure) et ont rétabli les droits de douane à l’encontre des colonies britanniques. L’objectif était de soutenir l’industrie américaine et de faire progresser la « destinée manifeste », une ambition de longue date des États-Unis pour l’expansion territoriale vers l’ouest et le nord. Ce n’est pas une coïncidence si la confédération du Dominion du Canada en 1867 a donné naissance à une nouvelle nation farouchement indépendante et à un mégaprojet de chemin de fer transcontinental, qui fait désormais partie de notre histoire. Parmi ses nombreux bienfaits, on peut nommer le renforcement de la souveraineté du Canada et l’expansion des routes commerciales européennes.
L’histoire offre ainsi des leçons importantes dans le contexte de la guerre commerciale actuelle. L’industrie, le gouvernement et le grand public s’accordent à dire que notre avenir dépend plus que jamais de l’avancement rapide de projets critiques1. Les gouvernements, les entreprises et l’industrie du Canada doivent promouvoir les projets de priorité nationale au service de la stabilité et de la prospérité du pays. Comme le passé nous le démontre, il s’agit de la meilleure solution dans le contexte actuel.
Dans cet article, nous examinons certaines caractéristiques des projets de « priorité nationale » et ce qui peut être fait pour les mettre en branle rapidement d’une manière qui valide la souveraineté du pays et soutient à la fois l’économie nationale et l’exportation.
Les projets de priorité nationale ont une valeur stratégique qui dépasse la rentabilité économique. Ces projets hautement prioritaires visent : (1) l’autonomie, (2) la résilience économique et/ou (3) l’affirmation de la souveraineté :
Les projets d’importance nationale visent l’avenir et la prospérité à long terme du Canada et sont utiles dans tous les contextes politiques et économiques. Face à la menace que représente une relation turbulente avec notre principal partenaire commercial, il faut accélérer ces projets pour atteindre les objectifs précités.
Selon nous, une réponse appropriée dans le contexte actuel consiste à mener à bien quelques dizaines de projets. Nous ne plaidons pas ici pour une réforme des milliers d’autres projets moins prioritaires. Il faut avant tout faire les bons choix.
Les projets au service de ces trois grands objectifs vont des bases militaires dans l’Arctique aux corridors d’infrastructure qui permettent le transport de nos ressources naturelles et de nos minerais critiques jusqu’au littoral. Les projets de priorité nationale ne doivent pas se limiter à des « mégaprojets » : il peut tout autant s’agir de petits réacteurs nucléaires modulaires à l’appui de projets d’infrastructure numérique d’intérêt national. Le tableau ci-dessous présente une série de projets potentiels qui répondent à une combinaison d’objectifs commerciaux nationaux et internationaux clés ou qui contribuent à l’affirmation de la souveraineté.
Autonomie | Résilience économique | Affirmation de la souveraineté | |
Pipelines |
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Projets arctiques |
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Transport interprovincial (p. ex. rail) |
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Corridors commerciaux |
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Projets de défense |
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Infrastructures d’extraction et d’exportation des minéraux critiques |
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Infrastructure numérique et souveraineté des données (centres de données, large bande) |
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Des corridors ou des zones commerciales relieraient le pays et accéléreraient la diversification des relations commerciales internationales. Les corridors commerciaux sont des voies d’infrastructure horizontales associées au transport de marchandises et de ressources. Il peut s’agir de l’expansion de ports, de la modernisation de voies ferrées ou d’un réseau de transmission national. À titre d’exemple, la Transcanadienne peut être considérée comme un corridor commercial. Ces corridors offrent de multiples avantages, notamment la circulation plus rapide de ressources et de marchandises, la réduction des coûts et l’amélioration de la connectivité avec les trois littoraux du Canada. En effet, un récent rapport de Statistique Canada a révélé que près de 46 % des entreprises interrogées ont cité divers problèmes de transport ou la distance entre le point d’origine et la destination comme raisons de ne pas acheter des biens ou des services dans une autre province ou un autre territoire2. Le gouvernement fédéral a entrepris des efforts en ce sens en créant un Fonds national des corridors commerciaux qui vise à soutenir les projets liés aux corridors commerciaux. Toutefois, le Fonds lui-même n’établit pas de corridors physiques3.
Le Canada devrait établir un processus simplifié pour désigner de vastes corridors, routes ou zones de circulation de biens et de services et autoriser les projets de priorité nationale qui s’y inscrivent. Comment désignerait-on les projets à réaliser dans un corridor ou une zone commerciale? Pour commencer, les gouvernements pourraient collaborer à la création d’un inventaire des projets d’infrastructure existants et potentiels qui répondent aux contraintes de capacité dans des domaines tels que le transport de minerais critiques, les positions de défense et les ports4. À partir de cet inventaire, le Cabinet pourrait alors désigner des projets de priorité nationale, admissibles à un développement accéléré dans un corridor ou une zone en particulier. Les corridors pourraient faire l’objet d’une approbation générale pour plusieurs projets désignés (par exemple, la construction d’un oléoduc ou d’une ligne de transmission dans le même corridor qu’une ligne de chemin de fer).
Un corridor nordique canadien?
Le Canada devrait aussi mettre plus d’efforts pour améliorer l’accès aux infrastructures dans le nord, notamment en investissant davantage dans les communications et les infrastructures aéroportuaires, les ports en haute mer et les infrastructures routières, ferroviaires et électriques. La School of Public Policy de l’Université de Calgary mène des études en vue de la création d’un « corridor nordique canadien » qui relierait les communautés et les projets nordiques du Canada sur les trois littoraux5. Nombre de ces projets pourraient se chevaucher avec des infrastructures militaires, telles que des bases militaires et des navires de patrouille résistant aux glaces. Ces projets amélioreraient l’autonomie et la résilience économique du Canada et renforceraient sa souveraineté, notamment sur les routes maritimes dans l’Arctique6. Bien que le gouvernement fédéral ait récemment déclaré vouloir investir dans des carrefours de soutien opérationnel militaire à Iqaluit, Yellowknife et Inuvik, il en faut plus pour développer des voies commerciales dans l’Arctique et renforcer notre présence militaire7.
Pendant de nombreuses années, le processus d’approbation réglementaire, long et incertain, a entravé les gros projets au Canada. Dans le contexte actuel, les projets d’importance nationale méritent des règles claires et prévisibles et un processus décisionnel plus souple afin de renforcer la sécurité économique et la souveraineté du Canada.
Des processus d’approbation « à guichet unique » pour diverses catégories de projets de priorité nationale pourraient aider à réduire les redondances réglementaires8. La Déclaration des premiers ministres, publiée le 21 mars, reconnaît la nécessité d’éliminer les chevauchements en matière d’évaluation environnementale, mais il faudrait aller plus loin pour parvenir à un véritable processus à guichet unique9.
Il existe au moins trois approches à l’égard d’une réforme législative appropriée :
Le gouvernement doit jouer un rôle exemplaire pour encourager la souveraineté et la croissance du Canada. Le fédéralisme coopératif est l’approche optimale pour faciliter les projets de priorité nationale grâce à une plus grande collaboration entre les niveaux de gouvernement fédéral, provincial et territorial. Le gouvernement fédéral peut renforcer son contrôle en organisant des réunions avec les provinces et en utilisant son pouvoir d’achat pour encourager la coopération. Par exemple, il peut financer des programmes visant à remédier aux inégalités régionales si la réduction des obstacles au commerce intérieur entraîne des délocalisations ou des désavantages temporaires. Les deux réunions des premiers ministres qui se sont tenues en mars indiquent un consensus croissant sur l’élimination des obstacles au commerce intérieur et l’importance d’un corridor national pour le commerce et l’énergie13.
Toutefois, compte tenu de l’urgence de la situation et du caractère existentiel de la menace, un des acteurs pourrait devoir montrer la voie en prenant en main un projet de priorité nationale. Le gouvernement fédéral est peut-être le mieux placé pour assumer ce rôle dans la plupart des situations, mais dans certains cas, il pourrait s’agir d’une province.
Contexte constitutionnel
Depuis le début de l’histoire du Canada, la réglementation économique relève principalement des provinces. Historiquement, les tribunaux ont renforcé la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils, tout en réduisant la compétence fédérale en matière de commerce. La promulgation en 1982 de l’article 92A de la Loi constitutionnelle, qui accorde aux provinces des pouvoirs étendus en matière de gestion des ressources naturelles, a renforcé le rôle de celles-ci dans la réglementation de projets. Les entreprises interprovinciales (chemins de fer, pipelines et autoroutes qui traversent les frontières provinciales) constituent une exception notable, mais le pouvoir fédéral dans ce domaine a souvent été exercé d’une manière qui entraîne des chevauchements réglementaires et un manque d’efficacité. Il n’est pas rare que les processus d’approbation de ces projets s’étalent sur plusieurs années et donnent lieu à des litiges.
En fin de compte, le gouvernement fédéral est responsable de la protection des intérêts du pays dans son ensemble. En période de difficultés économiques, cela pourrait l’obliger à renforcer son leadership. Pour ce faire, il pourrait affirmer plus fermement sa compétence sur les projets interprovinciaux (ou qui relèvent du fédéral, comme les ports et les aéroports), pour réduire les obstacles et les retards causés par les processus d’approbation locaux. Les entités dotées de pouvoirs d’approbation étendus en vertu de lois comme la Loi sur les transports au Canada pourraient exercer ces pouvoirs pour mener à bien les projets les plus importants.
Dans certaines circonstances, le gouvernement fédéral pourrait exercer un pouvoir absolu. Ainsi, en déclarant des travaux comme étant « pour l’avantage général du Canada » en vertu de l’article 92(10)c) de la Constitution, il aura compétence exclusive sur leur réglementation et approbation. Cette disposition a été utilisée près de 500 fois au fil des ans, principalement dans le cadre de projets ferroviaires locaux, mais aussi à l’égard de ponts, de barrages, de quais, de mines, de raffineries de pétrole et d’usines.
D’autres outils pourraient être utilisés, notamment le pouvoir résiduel conféré par la Constitution de légiférer sur les questions d’intérêt national relevant de la compétence fédérale en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, et le pouvoir législatif conféré par la Loi sur les mesures d’urgence (qui a remplacé la Loi sur les mesures de guerre). Ce dernier point a été suggéré dans une récente lettre ouverte adressée aux chefs des partis politiques fédéraux par les compagnies pétrolières et gazières canadiennes : « En déclarant une crise énergétique au Canada et en qualifiant des projets clés comme étant dans “l’intérêt national”, le gouvernement fédéral pourrait utiliser tous les pouvoirs d’urgence disponibles pour garantir que la restructuration réglementaire ambitieuse et nécessaire au développement du secteur pétrolier et gazier soit rapidement réalisée. » Toutefois, comme le montre la récente jurisprudence liée à la crise du convoi des camionneurs de 2022, la détermination de ce qui constitue une urgence nationale est soumise à des critères stricts qui pourraient ne pas s’appliquer dans le contexte actuel.
Il est primordial de s’assurer l’appui et la participation des communautés autochtones pour développer efficacement certains projets de priorité nationale et renforcer les relations avec les partenaires autochtones. Les communautés autochtones du Canada ont manifesté leur intérêt et leur volonté de participer au développement de grands projets, ce qui permettrait de débloquer des projets qui renforcent nos intérêts nationaux. Par le passé, des consultations et des négociations parallèles menées par plusieurs agences gouvernementales ont été source de confusion et de retards dans les projets. Il est donc essentiel de simplifier et d’améliorer ce processus pour les projets de priorité nationale.
Le conflit commercial actuel a été qualifié de menace existentielle. Toujours est-il qu’il s’agit également d’une occasion d’édification nationale sans précédent. C’est le moment pour le Canada d’accélérer les projets de priorité nationale en créant de nouveaux corridors commerciaux, en simplifiant les approbations réglementaires, en prenant l’initiative et en s’assurant l’appui et la participation des communautés autochtones.
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