Bien que la Loi constitutionnelle de 1867 confère des chefs de compétence exclusifs aux gouvernements fédéral et provinciaux, en pratique, on constate qu’il y a des chevauchements dans les types d’activités que les différents ordres de gouvernement peuvent réglementer. Mais les chevauchements ne sont pas tous permis. L’exclusivité des compétences, une doctrine constitutionnelle fondamentale, évite que les lois d’un gouvernement entravent le contenu essentiel des compétences législatives d’un autre gouvernement. En 2007, la Cour suprême du Canada avait indiqué que cette doctrine devait être appliquée avec retenue. Des décisions plus récentes ont cependant confirmé qu’elle demeure un outil important et solide quand les circonstances l’exigent. Dans la décision Opsis Services aéroportuaires inc. c. Québec (Procureur général)1, la Cour suprême a confirmé cette tendance en insistant sur le fait que l’exclusivité des compétences conserve toute son importance. Elle a aussi précisé que cette doctrine pourrait être appliquée avec plus de souplesse à l’avenir.
L’affaire Opsis portait sur deux appels des tribunaux québécois. Le premier concernait Opsis Services aéroportuaires inc., une entreprise qui offre et gère différents services de sécurité à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal, et l’autre était en lien avec Services maritimes Québec inc. (SMQ), une entreprise qui mène des activités de chargement sur des navires transatlantiques à partir d’un port situé à La Malbaie, au Québec.
Les deux entreprises ont été accusées d’avoir enfreint la Loi sur la sécurité privée (LSP), une loi du Québec qui soumet les services de sécurité privée à un régime de permis. Opsis, SMQ et M. Fillion n’ont pas contesté avoir enfreint la LSP, mais ont fait valoir qu’en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences, cette loi ne s’appliquait pas à leurs entreprises.
Dans un jugement unanime, la Cour suprême a conclu que la LSP ne s’appliquait pas aux parties. Malgré une recommandation antérieure selon laquelle l’exclusivité des compétences devrait être « appliquée avec retenue », la Cour a reconnu que la doctrine demeure un élément essentiel du fédéralisme canadien. Appliquant la doctrine selon les faits, elle a conclu que la LSP entravait le contenu essentiel de la compétence du Parlement en matière d’aéronautique et de navigation (dans le cas d’Opsis) et en matière de bâtiments ou navires (dans le cas de SMQ) et qu’elle ne s’appliquait donc pas aux deux entreprises. Par conséquent, celles-ci ont été acquittées de toutes les accusations.
La Cour a expliqué les deux conditions dont dépend l’application de la doctrine, d’une manière qui confirme que la doctrine demeure importante et qui élargit son champ d’application potentiel :
Même si seule la doctrine de l’exclusivité des compétences était en cause, la Cour en a profité pour clarifier sa relation avec la prépondérance (la doctrine constitutionnelle qui traite des conflits entre les lois fédérales et provinciales). Alors qu’elle avait précédemment conclu que l’examen de l’exclusivité des compétences devrait être entrepris seulement après celui de la prépondérance, la Cour a changé de cap dans Opsis, affirmant que l’approche « logique et appropriée » serait de considérer d’abord l’exclusivité des compétences.
En appliquant la doctrine, la Cour a conclu que les appelants avaient respecté les deux conditions :
Même si seulement certaines dispositions de la LSP entravent le contenu essentiel des compétences fédérales, la Cour a jugé que la réparation la plus appropriée était de « donner une interprétation atténuée » à l’ensemble de la LSP afin qu’elle ne s’applique pas aux activités des appelants, étant donné que les dispositions entravantes sont indissociables du reste de la LSP – le régime d’application se rattachant à la fonction essentielle du Bureau. Par conséquent, le fait de retrancher uniquement les dispositions contestées risquerait de modifier la nature de la LSP voulue par la législature québécoise.
Malgré les recommandations passées de la Cour suprême sur l’application de l’exclusivité des compétences, Opsis confirme que la doctrine demeure d’actualité et « continue de jouer un rôle essentiel ». En effet, compte tenu des précisions que la Cour a apportées quant au rôle de la jurisprudence et du fait qu’elle a mis l’accent sur le caractère potentiel de l’entrave, cet arrêt mènera vraisemblablement à une application encore plus étendue de la doctrine à l’avenir.
À la suite de cette décision, il sera intéressant de voir si la Cour reconnaîtra l’exclusivité des compétences « inverse » pour éviter que des lois fédérales n’empiètent sur des domaines qui relèvent de la compétence provinciale, lorsque les faits le justifient. À ce jour, toutes les affaires de la Cour suprême portant sur l’exclusivité des compétences visent à déterminer si le droit provincial s’applique aux entités et entreprises sous réglementation fédérale. Mais les termes utilisés par la Cour dans Opsis laissent à penser que cette doctrine pourrait permettre de rendre des lois fédérales inapplicables aux entités et entreprises sous réglementation provinciale. Ce principe a été confirmé par la jurisprudence, mais n’a jamais été appliqué. Toutefois, la Cour d’appel de l’Alberta en a discuté dans le renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, et il pourrait s’agir d’une question importante à l’avenir, plus particulièrement en ce qui a trait à l’article 92A, qui confère aux provinces la compétence exclusive en ce qui concerne les ressources naturelles non renouvelables et la production d’électricité.
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