Des émetteurs canadiens ont récemment dû se défendre contre des allégations de manquement à l’obligation de communication de l’information en lien avec l’environnement et les changements climatiques. Face aux attentes croissantes du public, les entreprises canadiennes cherchent à affirmer leurs engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance. Toutefois, en l’absence d’un cadre de déclaration uniforme, elles s’exposent à d’importants risques réglementaires et juridiques.
Même si la communication de l’information liée aux changements climatiques n’est pas encore obligatoire au Canada, une règle de base demeure : il faut déclarer toutes les informations importantes pour la prise de décisions par les investisseurs. Si les changements climatiques ont un impact important sur les activités d’un émetteur, celui-ci est tenu de le déclarer pour ne pas faire l’objet de poursuites réglementaires et juridiques. Pour en savoir plus sur les pratiques actuelles en matière de communication de l’information liée aux changements climatiques, lisez notre rapport de 2024 (en anglais).
Par exemple, selon les allégations faites dans la récente affaire Nseir c. Barrick Gold Corporation1, Barrick Gold Corporation aurait fourni de l’information fausse ou trompeuse aux investisseurs en affirmant que le projet minier Pascua-Lama, situé dans les hautes Andes du Chili et de l’Argentine et évalué à plusieurs milliards de dollars, était réalisé dans le respect des exigences environnementales imposées par les autorités chiliennes. Les tribunaux chiliens ayant conclu que Barrick n’avait pas respecté certaines exigences réglementaires, le conseil d’administration de la société a décidé de suspendre toutes les activités sur le site minier, entraînant la chute de la valeur des actions de Barrick.
En 2022, la Cour d’appel du Québec a autorisé une action collective relative au marché secondaire des valeurs mobilières intentée contre Barrick et deux de ses dirigeants alléguant des déclarations fausses ou trompeuses concernant le système de gestion de l’eau à la mine de Pascua-Lama. Selon la Cour, les allégations étaient suffisamment étayées pour justifier l’autorisation de l’action collective : il s’agissait d’information fausse ou trompeuse concernant un fait important relatif au projet minier et le demandeur avait prouvé que son recours avait une possibilité raisonnable de succès.
La communication de l’information environnementale est au centre d’une autre action collective intentée contre Barrick devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Réclamant des dommages-intérêts de 3 milliards de dollars, les demandeurs dans l’affaire DALI Local 675 Pension Fund (Trustees) v. Barrick Gold allèguent le manquement de Barrick et de plusieurs de ses dirigeants à leur obligation de déclarer des faits importants liés à une grave violation environnementale2. Les conclusions de la Cour supérieure de l’Ontario rejoignent celles de la Cour d’appel du Québec concernant le système de gestion de l’eau. Cette décision a fait l’objet d’un appel, mais les conclusions relatives au système de gestion de l’eau ne sont pas remises en cause3.
La décision de la Cour suprême attendue dans une autre affaire, Markowich v. Lundin Mining Corporation, pourrait apporter des éclaircissements sur l’obligation de déclarer les risques environnementaux. L’affaire ne traite pas explicitement d’information environnementale, mais concerne plutôt des allégations selon lesquelles Lundin Mining Corporation n’aurait pas déclaré en temps utile l’instabilité des parois de l’une de ses mines à ciel ouvert, qui aurait provoqué un éboulement. Adoptant une interprétation « plus généreuse » de ce qui constitue un changement important en fonction des faits de chaque cas4, la Cour d’appel de l’Ontario a certifié un recours collectif en valeurs mobilières au motif que divers changements au sein d’une société6.
En mars 2024, la Cour suprême du Canada a accordé la permission d’interjeter appel dans l’affaire Lundin7. La décision de la Cour suprême permettra de mieux comprendre ce qui constitue un « changement important » et pourrait inciter les émetteurs à déclarer davantage les risques environnementaux ayant une incidence importante sur leurs activités et leur capital.
Même si les lois sur les valeurs mobilières canadiennes obligent déjà les émetteurs à déclarer l’information importante sur leurs activités et leur conformité réglementaire, de plus en plus de voix s’élèvent réclamant aussi de l’information prospective sur la planification de la transition climatique, l’analyse des scénarios liés aux changements climatiques, les émissions de carbone anticipées et les cibles environnementales.
Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) avaient élaboré un projet de règle sur l’information liée aux changements climatiques, mais il a été en grande partie mis sur la glace en 2021, en attendant le résultat des travaux du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID). Plusieurs autres initiatives d’élaboration de normes canadiennes ou d’adaptation de normes internationales sont en cours. L’adoption d’un cadre réglementaire uniforme permettrait un meilleur accès aux marchés financiers internationaux, mais exposerait également les émetteurs canadiens au risque de poursuites pour la communication d’information qu’ils ne sont pas tenus de déclarer actuellement.
Le CCNID a récemment approuvé8 les Normes canadiennes d’information sur la durabilité 1 (Obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité) et 2 (Informations à fournir en lien avec les changements climatiques). S’inspirant des Normes internationales d’information financière S1 et S2 et n’ayant pas force obligatoire, les Normes canadiennes devraient être publiées en décembre 2024 et entrer en vigueur en janvier 20259. Les ACVM ont fait part de leur intention d’intégrer la totalité ou une partie des normes du CCNID dans leur projet de règle10.
Outre les nouvelles normes du CCNID, le gouvernement canadien a annoncé en octobre son intention de créer une « taxonomie de l’investissement durable », visant la catégorisation des instruments financiers selon des critères objectifs, et de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions en y ajoutant l’obligation de déclarer l’information financière liée au climat pour les grandes sociétés privées constituées sous le régime fédéral.
Bien que ces initiatives soient loin d’être finalisées, elles représentent un alourdissement du fardeau réglementaire et un risque accru de poursuites. La déclaration de l’information environnementale, qu’elle soit volontaire ou non, continuera d’être une source d’actions collectives en valeurs mobilières.
Les émetteurs canadiens, particulièrement ceux des secteurs des ressources, de la fabrication, de l’automobile et du transport, ainsi que d’autres secteurs à forte intensité énergétique tels que l’intelligence artificielle et les cryptomonnaies, doivent rester à l’affût de la nouvelle réglementation et se préparer aux risques croissants de litige lié à la déclaration de l’information environnementale.
En attendant que les organismes de réglementation canadiens fournissent des directives claires à cet égard, il ne faut pas perdre de vue l’obligation continue de déclarer les risques qui sont raisonnablement susceptibles d’avoir une incidence sur les activités de l’entreprise. Le fait que ces risques soient ou non liés aux changements climatiques dépend de la nature des activités, de la gravité de l’impact potentiel et de divers autres facteurs. Dans ce contexte, les entreprises ont intérêt à communiquer avec précision leurs cibles et leurs pratiques environnementales actuelles et à déclarer rapidement les nouvelles informations pour éviter d’être la cible d’actions collectives intentées par des actionnaires mécontents.
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