APERÇU DES RISQUES DE LITIGE POUR 2024

Conception et mise en œuvre d’un programme de rappel : leçons tirées de la jurisprudence récente

Les rappels sont des mesures d’information publiques importantes qui sont effectués par des entreprises de distribution et de vente de produits de consommation dans le but de satisfaire à leurs obligations réglementaires et de protection des consommateurs. Les rappels peuvent aussi donner lieu à des actions en justice et sont souvent vus comme un événement défavorable. Cependant, des décisions récentes au Canada confirment qu’un programme de rappel bien conçu et mis en œuvre dans les règles de l’art peut faire partie d’une défense efficace pour écarter la responsabilité civile, en particulier à l’encontre d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective.

Principes édictés par les tribunaux canadiens

Les tribunaux de l’Ontario reconnaissent depuis quelques années que les programmes de rappel sont préférables aux actions collectives, surtout lorsque les réclamations visent un préjudice purement économique.

Jurisprudence antérieure à 2023

Dans Richardson v. Samsung, la juge Rady a pris en compte un programme de rappel et de remboursement instauré par un fabricant de téléphones cellulaires qui avaient tendance à surchauffer1. La Cour a statué que le programme de rappel et de remboursement rapidement lancé par le fabricant avait mieux rempli les objectifs de l’accès à la justice et de changement de comportement que ne l’aurait fait une action collective, même si un certain pourcentage des acheteurs étaient « laissés pour compte ». De même, dans Coles v. FCA Canada Inc., le juge Perell a conclu qu’un programme de rappel et de remplacement de coussins de sécurité gonflables défectueux valait mieux qu’une action collective2. Il a jugé que la campagne de rappel en cours était plus équitable et plus efficace et qu’elle était plus facile à gérer, étant donné surtout que les plaignants réclamaient une indemnisation pour un préjudice purement économique.

Jurisprudence depuis 2023

Les tribunaux de la Colombie-Britannique ont repris le même raisonnement dans deux décisions récentes : Larsen v. ZF TRW Automotive Holdings Corp.3 et Bowman v. Kimberly-Clark Corporation4. Cette nouvelle tendance soulève tout particulièrement l’intérêt des fabricants de produits de consommation, quand on sait que les groupes de consommateurs canadiens sont de plus en plus nombreux à déposer leurs actions collectives en Colombie-Britannique.

Dans Larsen, la Cour a refusé d’autoriser une demande d’exercer une action collective visant des coussins de sécurité gonflables ayant fait l’objet d’un programme de rappel et de réparation. Entre autres, la réclamation était entièrement fondée sur un préjudice économique; la demanderesse n’a pas allégué qu’elle ou les membres du groupe avaient subi des blessures physiques qui auraient été causées par le défaut allégué. Le juge Majawa a conclu que le rappel offrait une réponse complète aux allégations de conception défectueuse de la demanderesse. Il a également souligné que le rappel remplissait les objectifs de l’action collective. Les membres du groupe ont été indemnisés pour leurs préjudices présumés, et toutes les personnes touchées par les rappels réglementaires ont été rétablies dans leur situation antérieure. Le programme de rappel ne soulevait aucun problème d’accès à la justice, bien au contraire : il était plus avantageux que l’action collective pour tous les membres du groupe qui possédaient un véhicule visé par le rappel, mais qui n’avaient pas encore fait faire les réparations. De plus, la campagne de rappel avait atteint son objectif de changement de comportement en obligeant la défenderesse à agir, puisque le produit défectueux a été retiré du marché.

Les tribunaux de l’Ontario reconnaissent depuis quelques années que les programmes de rappel sont préférables aux actions collectives.

Dans Bowman, la Cour a encore une fois refusé de certifier une action collective pour un préjudice purement économique dans une affaire relative à des lingettes jetables contaminées par une bactérie5.

La juge Matthews a conclu que le programme de rappel était mieux à même d’indemniser le préjudice économique des parties demanderesses qu’une action collective. Dans ses motifs, elle souligne plusieurs aspects du rappel qui ont joué en faveur de cette conclusion :

  • Le programme de rappel et de remboursement a été lancé rapidement (en quelques semaines).
  • L’avis de rappel a été élaboré avec la collaboration des autorités de réglementation canadiennes et américaines.
  • Le rappel a été diffusé par divers moyens de communication (malgré un taux de participation global modeste, il a été jugé que le programme d’avis avait une couverture de large portée).
  • Le processus de remboursement était simple.

Six facteurs à prendre en considération

Évidemment, les principales raisons qui poussent une entreprise à concevoir et à mettre en œuvre un programme de rappel sont ses obligations réglementaires et de protection des consommateurs. La jurisprudence indique toutefois que les entreprises devraient intégrer d’autres aspects dans la conception de leurs programmes de rappel qui peuvent les aider à atténuer le risque de litige lié à la responsabilité du fait du produit, surtout lorsque le préjudice est purement économique.

1. Agissez avec célérité

Pour les parties ayant subi un préjudice, un programme de rappel mis en œuvre rapidement est plus avantageux qu’un litige (en particulier une action collective), qui peut prendre des années avant de se résoudre. La célérité avec laquelle le programme est mis en œuvre favorise également le taux de participation, puisqu’il est ainsi plus facile pour les acheteurs de déterminer s’ils ont utilisé un produit visé par le rappel. De plus, un avis de rappel précoce permet de fixer la date à laquelle les consommateurs touchés sont réputés avoir reçu notification de leur réclamation (ouvrant la voie à des moyens de défense fondés sur les délais de prescription, ou restreignant le nombre estimé d’un groupe donné).

2. Collaborez avec les autorités de réglementation

Travailler en collaboration avec les autorités de réglementation est toujours la procédure à suivre pour la plupart des entreprises œuvrant dans un secteur réglementé. Pour la cour, l’intervention des autorités ajoute aussi de la crédibilité au programme de rappel du point de vue de son contenu et de sa portée.

3. Misez sur les trois « R » : rembourser, remplacer ou réparer.

Un programme de rappel efficace fait en sorte que les membres de l’action collective envisagée ou les plaignants sont rétablis dans leur situation antérieure. Demandez-vous si un programme de remboursement, de remplacement ou de réparation est le meilleur moyen d’atteindre cet objectif.

4. Adoptez une stratégie de diffusion large de l’avis

Pensez à utiliser plusieurs canaux de communication et faites appel à des tiers dans la chaîne de distribution afin que l’avis de rappel atteigne le plus grand public possible. Dans Bowman, la Cour a jugé que ces mesures étaient convaincantes : l’avis de rappel a été publié sur les pages Web pertinentes et dans les médias sociaux; les défenderesses ont contacté les détaillants directement (qui à leur tour ont envoyé un courrier aux consommateurs); puis il y a eu une campagne nationale qui reproduisait le contenu de l’avis.

5. Concentrez-vous sur le taux de couverture, mais aussi sur le taux de participation

Le droit n’exige pas une indemnisation parfaite. Il reste qu’un programme de rappel doté d’une procédure de notification irréprochable malgré un faible taux de participation demeure préférable à une action collective.

6. Simplifiez la marche à suivre

Faites en sorte que les options de remboursement ou de remplacement soient faciles d’accès. Dans Bowman, les consommateurs avaient plusieurs moyens à leur disposition pour obtenir un remboursement (au moyen d’un formulaire en ligne, par téléphone, par courriel ou par la poste ou encore par l’entremise des médias sociaux, entre autres). Aucune preuve d’achat n’était exigée pour les petites réclamations relatives à cinq paquets ou moins. Les remboursements étaient simplifiés selon les produits achetés, et ils étaient versés sous la forme de cartes de crédit prépayées. La Cour a jugé que tous ces facteurs étaient importants.


  1. 2018 ONSC 6130, conf. 2019 ONSC 6845.
  2. 2022 ONSC 5575.
  3. Larsen v. ZF TRW Automotive Holdings Corp., 2023 BCSC 1471. La Cour a rejeté la demande d’autorisation d’exercer une action collective pour les véhicules non visés par le rappel, car la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que ces véhicules étaient entachés du même défaut.
  4. Bowman v. Kimberly-Clark Corporation, 2023 BCSC 1495.

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