En 2022, les tribunaux de l’Ontario ont rejeté les tentatives de demandeurs de faire valoir des réclamations nouvelles liées à des risques futurs et des réclamations historiques liées à des pertes économiques pures. Dans le même temps, les tribunaux du Québec ont continué à autoriser des réclamations présentées en vertu de la Loi sur la protection du consommateur visant à obtenir des dommages-intérêts punitifs, même lorsqu’il n’était pas possible d’obtenir des dommages-intérêts compensatoires.
Nous discutons ci-dessous de ces développements récents et soulignons quelques points clés à retenir pour 2023 et les années suivantes.
Dans l’affaire Palmer v. Teva1, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté une action collective nationale proposée fondée sur le risque de préjudices futurs.
Le groupe proposé comprenait toutes les personnes au Canada à qui l’on avait prescrit les produits valsartan des défenderesses, médicament utilisé dans le traitement de l’hypertension. Les demandeurs ont allégué que les produits étaient contaminés par des substances chimiques potentiellement cancérigènes. Toutefois, ils n’ont pas prétendu que ces contaminants avaient effectivement provoqué un cancer. Au lieu de cela, ils ont articulé la réclamation autour de la possibilité que les membres du groupe puissent développer un cancer plus tard. Les demandeurs cherchaient à obtenir des dommages-intérêts pour des blessures psychiatriques, le coût des services médicaux passés et futurs, et le remboursement de leurs médicaments.
Notant que l’action telle qu’elle était articulée était « déconcertante », le juge saisi de la requête a refusé de la certifier. Il a jugé qu’il n’y avait pas de preuve d’un préjudice indemnisable qui étayerait une action en négligence, et que l’anxiété rattachée à un éventuel préjudice physique ou psychologique n’était pas indemnisable.
Les demandeurs ont également affirmé qu’en exposant les membres du groupe à des contaminants potentiellement cancérigènes, les défenderesses avaient commis des voies de fait, c’est-à-dire un acte délictuel interférant avec l’autonomie corporelle du demandeur. Contrairement à la négligence, les voies de fait n’obligent pas le demandeur à prouver les dommages directs que les actions des défendeurs lui ont causés. Cette réclamation a également été rejetée, en partie parce que, telle qu’elle a été plaidée, elle ne constituait pas une véritable réclamation pour voies de fait. Il manquait des éléments essentiels propres aux voies de fait, comme l’exigence que les défenderesses aient agi intentionnellement en vue de nuire aux demandeurs (ce qui n’est pas le cas pour un produit ingéré volontairement), et que le préjudice en découlant soit plus qu’insignifiant.
Malgré leur popularité croissante devant les tribunaux canadiens, les réclamations en responsabilité délictuelle fondées sur de simples « risques » de préjudice s’exposent à la contestation à l’étape de la certification.
Dans l’affaire Coles v. FCA Canada Inc.2, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu qu’en raison d’une clarification des lois et du retard des demandeurs, l’action collective proposée n’était pas la procédure à privilégier pour obtenir l’accès à la justice, la modification d’un comportement ou l’économie judiciaire.
L’affaire Coles était l’une des six actions collectives nationales proposées par un consortium d’avocats de groupe concernant certains coussins gonflables conçus et fabriqués par un tiers et utilisés par de grands constructeurs automobiles. Beaucoup de choses avaient changé au moment de la requête en certification de l’affaire Coles : le fabricant avait fait faillite et les actions contre lui avaient été suspendues; trois des six actions collectives nationales proposées avaient été réglées au moyen de l’indemnisation des clients touchés à hauteur de la valeur de remplacement de leurs coussins gonflables et des pertes économiques additionnelles; et la seule défenderesse restante dans l’affaire Coles (Chrysler) avait mis en œuvre une campagne de rappel des coussins gonflables touchant des centaines de milliers de véhicules au Canada et prévoyant leur remplacement sans frais, mais ne prévoyant aucune compensation pour les pertes économiques.
La Cour a fait remarquer que deux décisions rendues par la Cour suprême du Canada en 20203, postérieures aux trois règlements, ont clarifié le fait que [traduction] « le droit de la responsabilité civile délictuelle laisse le droit des contrats traiter les pertes économiques pures », de sorte que les réclamations pour pertes économiques au-delà du coût de remplacement ne sont pas recouvrables. Notant que l’affaire Coles avait « traîné » par rapport aux autres procédures et que les règlements antérieurs s’étaient avérés être des « règlements excessifs » (overachievements) à la lumière des clarifications de la Cour suprême, la Cour a estimé que le programme de rappel de la défenderesse était préférable à l’action collective proposée parce qu’il indemniserait pleinement les membres du groupe proposé et serait mis en œuvre plus rapidement qu’un procès sur les questions communes.
Les défendeurs des actions collectives proposées en responsabilité du fait des produits devraient examiner attentivement la disponibilité et l’échéancier des programmes de rechange aptes à traiter les réclamations des membres du groupe putatif.
Au Québec, les fabricants continuent de faire face au risque de réclamations en responsabilité du fait des produits fondées sur la Loi sur la protection du consommateur (LPC), particulièrement dans les cas où il est allégué que les fabricants ont manqué à leurs obligations en vertu de la LPC en omettant d’avertir les consommateurs, en omettant de mentionner un fait important ou en induisant les consommateurs en erreur. Les demandeurs préfèrent intenter une action en vertu de la LPC plutôt que du Code civil, car elle permet d’accorder des dommages-intérêts punitifs même en l’absence de préjudice ou de dommages-intérêts compensatoires. Cela est particulièrement intéressant pour les demandeurs dans le contexte des actions collectives, car cela élimine la nécessité de prouver les dommages et la causalité, qui sont des questions intrinsèquement individuelles, ce qui rend ces actions collectives proposées plus faciles à autoriser.
Dans l’affaire Arial c. Apple Canada inc.4, la Cour supérieure du Québec a récemment autorisé une action collective relative à des allégations selon lesquelles l’utilisation de certains téléphones intelligents était associée à certains dangers. La Cour a noté que les demandeurs n’avaient pas allégué avoir subi un préjudice causé par les prétendus dangers et que, par conséquent, la cause d’action pour défaut de sécurité des demandeurs en vertu du Code civil (qui exige que les demandeurs allèguent une faute, un préjudice et un lien de causalité) était indéfendable. Néanmoins, la Cour a autorisé la cause d’action fondée sur la LPC au motif qu’en vertu de cette loi, les demandeurs pouvaient toujours réclamer des dommages-intérêts punitifs, même si des dommages-intérêts compensatoires ne pouvaient être réclamés.
Le champ d’application potentiel de la LPC demeure un sujet d’intérêt. En 2019, la Cour d’appel du Québec a statué dans l’affaire Brousseau c. Laboratoires Abbott limitée5 que la vente de médicaments d’ordonnance par un pharmacien n’est pas un contrat de consommation régi par la LPC. Plus tôt cette année, la même cour a décidé que la détermination de l’application de la LPC à la vente de médicaments d’ordonnance vétérinaires ne pouvait être faite qu’au procès, après un examen complet de la preuve, et a donc autorisé l’action collective à aller de l’avant6.
Dans le cas des réclamations pour responsabilité du fait des produits en vertu de la Loi sur la protection du consommateur du Québec, les actions collectives peuvent être plus facilement autorisées lorsque les demandeurs ne réclament que des dommages-intérêts punitifs.
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