En 2021, les tribunaux canadiens se sont penchés sur diverses affaires dont plusieurs étaient liées à la pandémie. Bon nombre de ces décisions importantes qui auront des répercussions pour les organisations en 2022 concernent le droit contractuel, le droit de l’emploi et d’autres domaines du litige.
Les décisions déjà rendues dans des litiges liés à la COVID-19 nous permettent de mieux cerner la façon dont les tribunaux régleront les différends contractuels liés à la pandémie. Dans une décision rendue à la fin de 2021 dans l’affaire Cineplex v. Cineworld, la Cour supérieure de l’Ontario a levé une part de l’incertitude entourant les clauses relatives aux effets défavorables importants, ce qui aidera les acheteurs à décider s’ils doivent invoquer une telle clause dans le futur (lisez notre analyse complète de l’affaire Cineplex ici).
Cette décision suggère que les tribunaux canadiens prendront au sérieux la façon dont les parties ont réparti les risques. Ils ne laisseront pas une partie se soustraire à ses engagements à cause d’un risque qu’elle avait accepté de prendre. En l’espèce, la suppression du terme « épidémies » de la définition de ce qui constitue un effet défavorable important avait eu pour effet d’attribuer le risque lié à une pandémie à Cineworld. Même si ce type d’événement est extrêmement rare, il peut avoir des répercussions importantes sur l’aspect économique d’une transaction. Cependant, les tribunaux ne laisseront pas les parties exploiter le délai entre la signature et la clôture de l’accord pour essayer d’échapper à leurs obligations.
Dans l’arrêt Wastech c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, la Cour suprême du Canada a précisé l’étendue de l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi1, confirmant qu’il s’agit d’un principe général du droit des contrats et qu’il y a manquement à cette obligation lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est exercé d’une manière étrangère aux objectifs pour lesquels il a été conféré. Cela signifie que même si le contrat permet à une partie d’exercer un pouvoir à sa seule discrétion, l’obligation d’agir de bonne foi peut limiter la manière dont ce pouvoir peut être exercé.
Les limites du pouvoir discrétionnaire doivent être déterminées au moyen d’une interprétation contractuelle plutôt que de concepts d’équité généraux. L’approche de la Cour suprême, fondée sur la liberté contractuelle des parties, permet « une certaine liberté d’action en vue de la poursuite énergique d’intérêts personnels »2. Au moment de la rédaction d’un contrat, les parties doivent préciser dans quelles circonstances le pouvoir discrétionnaire peut être exercé, ainsi que les limites et l’objectif du pouvoir discrétionnaire, puisque ces éléments seront pris en compte pour déterminer si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi.
L’arrêt Wastech fait suite à la décision que la Cour suprême avait rendue à la fin de 2020 dans l’arrêt C.M. Callow Inc. c. Zollinger, dans lequel elle avait estimé que l’obligation d’exécution honnête des contrats va au-delà de l’obligation de ne pas mentir à une contrepartie et comprend l’obligation de ne pas induire celle-ci intentionnellement en erreur, notamment par omission.
En juillet 2021, la Cour suprême a finalement supprimé la « règle de l’arrêt Blackmore » établie il y a 150 ans qui permettait aux tribunaux d’examiner la preuve du contexte factuel pour déterminer la portée d’une décharge de responsabilité. Cette preuve était généralement utilisée pour restreindre la portée de la décharge au différend qui y avait initialement donné lieu. Dans l’arrêt Corner Brook (City) c. Bailey, la Cour suprême du Canada a jugé de manière unanime que règle de l’arrêt Blackmore ne doit plus être suivie3.
Après l’arrêt Corner Brook, les décharges de responsabilité seront traitées comme n’importe quel autre contrat et interprétées de manière contextuelle. Les parties qui souhaitent élargir la portée de leurs décharges pour viser des réclamations inconnues ou imprévues peuvent le faire, mais doivent les rédiger en conséquence.
Le nombre de litiges en emploi au Canada devrait rester aussi élevé. Les actions collectives proposées en droit de l’emploi continuent d’être parmi les affaires les plus difficiles et importantes auxquelles les entreprises risquent de se confronter en 2022. Nous continuons d’observer des actions collectives liées à la discrimination fondée sur le sexe, le genre et la race, au harcèlement sexuel et, plus récemment, des recours en matière d’équité salariale.
Dans certains cas, les tribunaux ont hésité à laisser ces recours procéder par voie d’action collective, estimant que les processus administratifs en matière de droits de la personne sont des moyens de procédure plus appropriés. Cependant, la façon dont ces recours sont plaidés continue à évoluer, notamment au moyen d’allégations de rupture de contrat, de violation d’un engagement implicite et de manquement au devoir de diligence prévu par la common law. Il y a donc fort à parier qu’en 2022, on sera plus en mesure de savoir si les tribunaux jugent qu’une action collective constitue le meilleur moyen pour traiter les affaires de discrimination.
La popularité croissante de l’économie à la demande fera probablement aussi monter le nombre de recours liés au statut d’emploi (tels que les récentes actions collectives proposées contre Amazon, SkipTheDishes et Uber). On continuera sûrement à voir en 2022 des actions collectives proposées en matière d’emploi liées aux congés et à l’indemnité de congé annuel, même si les tribunaux ontariens ont été hésitants à certifier ce type de recours à cause de son caractère individuel.
Dans l’arrêt Fraser v. Canada (Procureur général), la Cour suprême du Canada a examiné si les régimes de retraite du secteur public doivent tenir compte des obstacles systémiques à une participation égale en milieu de travail (lisez notre analyse complète de Fraser ici). Ce jugement a confirmé que ce qui à première vue semble être un élément neutre d’un régime de retraite pourrait en fait constituer de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, violant le droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. L’arrêt Fraser a des répercussions importantes sur les entreprises. Même si celles-ci ne sont pas techniquement assujetties à l’article 15, le point de vue de la Cour suprême sur l’égalité influence inévitablement la façon dont les juridictions inférieures et les autres institutions envisagent les questions liées à l’égalité en milieu de travail de manière plus générale.
Marquant une victoire fragile pour les employeurs relativement au droit aux options d’achat d’actions lors d’une cessation d’emploi, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé dans l’affaire Battiston v. Microsoft Canada Inc. que le fait d’obliger un employé à accepter les conditions d’attribution d’actions par voie électronique peut rendre ces conditions exécutoires4. Chaque année, Microsoft envoyait à ses employés un courriel les informant des attributions d’actions et leur demandant de reconnaître qu’ils ont lu, compris et accepté les conditions de celles-ci. Le demandeur affirmait qu’en tant qu’employé de Microsoft, il n’avait pas lu les conditions, ne savait pas que l’acquisition des actions cesse après la cessation d’emploi et ne devait donc pas être lié par cette condition. Le tribunal de première instance s’était rangé du côté de l’employé sur ce point, mais la Cour d’appel a infirmé cette décision, jugeant qu’une partie qui a été informée des conditions ne peut pas s’y soustraire en choisissant de ne pas les lire. L’affaire Battison survient peu après la décision rendue en 2020 par la Cour suprême du Canada concernant le droit aux primes en cas de cessation d’emploi dans l’arrêt Matthews c. Ocean Nutrion Canada Ltd.5 et indique que les tribunaux canadiens n’hésiteront pas à appliquer des contrats qui limitent explicitement les droits des employés à des paiements discrétionnaires après la cessation d’emploi.
Nous attendons encore que les tribunaux canadiens s’expriment au sujet des politiques de vaccination obligatoire mis en place par plusieurs employeurs. En 2021, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé d’accorder une injonction interdisant à plusieurs hôpitaux de congédier leurs employés non vaccinés dans l’affaire Blake v. University Health Network6. Selon le tribunal, un congédiement ne peut pas constituer un préjudice irréparable, car ce à quoi un employé a droit est un préavis en cas de congédiement injustifié, et non pas un emploi continu. En outre, les employés syndiqués n’ont pas le statut requis pour déposer une telle requête, car, en vertu de leur entente collective, ils ne peuvent s’adresser qu’à un tribunal administratif du travail ou à un arbitre. Même si cette décision peut représenter une victoire pour les employeurs, elle n’aborde pas le caractère légal des politiques de vaccination obligatoires en général, et d’autres contestations judiciaires de politiques de vaccination obligatoires sont encore en cours. Les organisations partout au pays continuent à adapter leurs activités en fonction de la situation pandémique et nous nous attendons à ce que les politiques de vaccination obligatoires donnent lieu à d’autres recours.
Après que plusieurs provinces ont contesté la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (LTPGES), la Cour suprême a déclaré à la majorité que cette loi découlait d’un exercice valide par le Parlement du pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement (POBG)7. Cette décision risque de raviver le volet intérêt national du pouvoir POBG d’une manière qui permet au Parlement de réglementer des matières qui étaient auparavant considérées comme relevant de la compétence provinciale, particulièrement si la matière visée a un effet extraprovincial.
Bien qu’importante, cette décision n’a pas été prise à l’unanimité. Trois juges étaient dissidents. Des six juges qui ont formé la majorité, une a pris sa retraite (la juge Abella) et un autre la prendra en 2022 (le juge Moldaver). Chaque nouvelle configuration de la Cour apporte de nouvelles approches à l’égard du fédéralisme et nous ne pensons pas qu’il en sera autrement cette fois-ci. Le temps nous dira si l’arrêt Renvois relatifs à la LTPGES constitue un élargissement exceptionnel des pouvoirs fédéraux compte tenu des dangers posés par les changements climatiques ou un nouveau moyen pour le gouvernement fédéral d’imposer des normes nationales minimales à l’égard de matières ayant des effets interprovinciaux.
Suivant la décision de la Cour suprême, tous les yeux sont maintenant tournés vers la façon dont le gouvernement fédéral évalue la rigueur des régimes de tarification du carbone provinciaux. La Cour fédérale a récemment rejeté la contestation par le Manitoba de l’imposition d’un filet de sécurité pour la redevance sur les combustibles dans la province, jugeant que le gouvernement fédéral avait correctement déterminé que le régime du Manitoba n’était pas assez rigoureux. S’appuyant sur ces décisions, Environnement et Changement climatique Canada devrait se pencher sur les lacunes dans ses normes de rigueur cette année, après son examen quinquennal de la LTPGES.
De manière plus générale, nous observons une hausse des litiges liés aux changements climatiques partout dans le monde, leur nombre ayant plus que doublé depuis 20158. Bien que la plupart de ces litiges sont initiés aux États-Unis, ils augmentent et s’étendent à de plus en plus de pays. Le type et la nature de ces contestations judiciaires sont également de plus en plus diversifiés. En outre, alors que ces litiges ciblent souvent les gouvernements, ils sont aussi utilisés par les parties prenantes pour influencer la gouvernance d’entreprise, ce qui comprend les engagements liés aux facteurs ESG et aux émissions, comme ce fut le cas dans la décision très médiatisée d’un tribunal des Pays-Bas obligeant Royal Dutch Shell à réduire davantage ses émissions de CO2 d’ici 2030 (jugement qui est maintenant en appel). Cette tendance s’observe également au Canada, qu’il s’agisse de la hausse des propositions d’actionnaires liées aux changements climatiques ou de la contestation des déclarations d’écoresponsabilité devant le Bureau de la concurrence.
Un certain nombre de décisions clés de 2021 nous montrent qu’en l’absence de preuves d’iniquité considérable, les tribunaux obligeront probablement les parties à respecter les contrats qu’elles ont signés. En 2022, les entreprises devraient lire attentivement leurs contrats pour s’assurer qu’ils reflètent leurs ententes telles qu’elles les comprennent, et ne pas compter sur l’intervention du tribunal pour se soustraire à un engagement devenu défavorable. En même temps, les développements judiciaires survenus en 2021 montrent que les entreprises demeurent vulnérables aux réclamations des consommateurs ou des employés même si elles respectent un contrat à la lettre. À mesure que l’année avance, il sera intéressant de voir quelles seront les répercussions de ces enjeux sur les entreprises encore aux prises avec les perturbations causées par la pandémie.
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