« Un changement radical dans les services financiers1 », « l’option de paiement qui connaît la croissance la plus élevée2 », « croissance explosive3 » : voici quelques-unes des expressions utilisées pour décrire le marché du financement « achetez maintenant, payez plus tard » (aussi appelé « paiement en différé »). Les innovations technologiques et l’émergence de nouvelles sociétés de technologie financière conjuguées avec une hausse du magasinage en ligne provoquée par la pandémie de COVID-194 ont permis l’essor de ce type de financement5. Même si une telle croissance est bien accueillie par les dirigeants et les actionnaires des sociétés de paiement en différé, elle a également poussé les organismes de réglementation canadiens et internationaux à examiner plus attentivement les effets de ce produit financier populaire.
Le crédit au point de vente n’est pas un concept nouveau; il existe depuis longtemps sous forme de prêts à tempérament (généralement pour des achats importants tels que les appareils ménagers) ou de cartes de crédit de marque blanche portant le nom d’un détaillant, souvent avec des limites de crédit moins élevées et des politiques de crédit plus souples. Alors que pour obtenir un prêt au point de vente, les clients devaient se soumettre à de long processus de demande et de vérification de crédit en magasin, les prêts modernes de type « achetez maintenant, payez plus tard » peuvent être obtenus presque instantanément au point de vente (généralement en ligne). Les services de paiement en différé peuvent aussi être utilisés pour se procurer une gamme plus large de produits et de services qu’avec le crédit au point de vente traditionnel, notamment des produits moins dispendieux tels que des vêtements, des cosmétiques, des articles ménagers essentiels, des divertissements et des voyages. Le directeur du Consumer Financial Protection Bureau, Rohit Chopra, a bien saisi la nature du paiement en différé en le décrivant comme « une nouvelle version moderne et rapide d’un plan désuet, où le consommateur obtient immédiatement tant le produit que la dette qui y est liée6 ».
À l’instar des prêts à tempérament, les services de paiement en différé permettent aux consommateurs d’acheter des biens et des services immédiatement et de reporter leurs paiements pendant une période définie ou de les étaler en petits versements égaux. Au Canada, ces services peuvent généralement être regroupés en deux catégories : (1) les services de paiement différé en ligne, habituellement utilisés au point de vente et intégrés au processus de paiement d’un détaillant partenaire et (2) les services de paiement différé liés à l’utilisation d’une carte de crédit, qui sont également de plus en plus disponibles au point de vente. Les services de paiement différé offerts en ligne par des prêteurs sur le point de vente viennent souvent avec des versements sans intérêt ou à faible taux d’intérêt, et ce sont les commerçants partenaires qui paient des frais correspondant habituellement à un pourcentage du prêt7.
Le paiement en différé est attrayant pour les commerçants, car il leur permet d’élargir leur clientèle en donnant aux consommateurs la possibilité d’acheter des biens qui n’entreraient pas autrement dans leur budget. Il permet également aux commerçants d’intégrer facilement le financement à leurs propres plateformes numériques. En outre, plusieurs sociétés de paiement en différé offrent aux commerçants un soutien après-vente.
En plus d’être une solution intéressante par rapport aux autres formes de crédit, les produits de paiement en différé offrent plusieurs avantages :
Malgré les nombreux avantages du paiement en différé, les organismes de réglementation s’inquiètent que celui-ci mène au surendettement et croient que les consommateurs risquent moins de se questionner sur la pertinence de leurs achats s’ils se sentent moins impliqués dans le processus de paiement. Certaines études rapportent également que même si le paiement en différé est habituellement qualifié comme une option à faible taux d’intérêt, il peut se révéler plus dispendieux pour les consommateurs qui repoussent leurs paiements. Presque un tiers des utilisateurs de ces services ont déjà effectué un paiement en retard ou encouru des frais de retard et cette tendance semble se renforcer8. Dans certains cas, les consommateurs qui manquent un paiement ne peuvent plus profiter de l’intérêt zéro ou du faible taux d’intérêt.
L’essor rapide du paiement en différé et les préoccupations concernant ses effets négatifs et le préjudice qu’il pourrait causer aux consommateurs ont poussé les organismes de réglementation canadiens et étrangers à examiner ce produit.
Enfin, au Canada, en novembre 2021, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) a publié une Étude pilote sur les services « Achetez maintenant, payez plus tard » offerts au Canada (l’Étude de l’ACFC)13 qui fournit des renseignements importants sur ce type de prêt. L’Étude de l’ACFC montre que le plus grand nombre d’utilisateurs de ce service appartient à la catégorie d’âge de 18 à 44 ans et que ceux âgés de 18 à 34 ans semblent plus susceptibles d’avoir déjà utilisé le paiement en différé en ligne, tandis que ceux de 65 ans et plus semblent plus susceptibles de l’avoir utilisé en lien avec une carte de crédit. Les raisons les plus couramment citées pour justifier l’utilisation du paiement en différé sont : aider à budgétiser, faire un achat que le consommateur ne pouvait se permettre tout de suite et éviter les intérêts et des frais.
Les consommateurs sondés ont expliqué qu’ils utilisent souvent ces services pour combler un « besoin » soudain ou profiter d’une « occasion » quand ils n’ont pas les fonds disponibles tout de suite.
Bien que l’ACFC ait déterminé que ce produit pose un risque de trop emprunter et de trop s’endetter, l’Étude de l’ACFC ne contient pas de recommandations à l’égard d’une éventuelle réglementation ou surveillance réglementaire. Elle conclut plutôt que l’ACFC :
À l’extérieur du Canada, des voix se sont élevées pour dénoncer le manque ou l’absence de réglementation de ce marché. Cependant, les prêteurs canadiens, y compris ceux offrant des services de paiement en différé, sont tout de même assujettis à certaines règles et à une certaine surveillance.
Alors que les institutions financières canadiennes sont habituées à des règles différentes et parfois contradictoires concernant la présentation et l’imposition des intérêts et des frais, le paiement en différé présente des défis additionnels aux institutions financières et aux détaillants qui souhaitent se conformer aux règles de protection des consommateurs de chacune des provinces où ils exercent des activités. Par exemple, alors que certaines provinces ont adopté une approche plus libérale, d’autres (p. ex. le Québec) imposent des restrictions sévères sur la promotion du crédit conjointement aux publicités sur les biens de consommation. Ces règles ont une incidence non seulement sur le contenu de l’information qui doit être communiquée, mais également sur le moment où le crédit peut être offert dans le cadre d’une transaction.
Dans le cas du paiement en différé offert avec une carte de crédit, il faut aussi tenir compte des effets des exigences liées au délai de grâce, au paiement minimal et aux relevés mensuels, particulièrement si la conversion à un service de paiement en différé se fait séparément de la transaction elle-même. Il faut aussi tenir compte des effets des retours de marchandise totaux et partiels.
Malgré les préoccupations et les risques liés au paiement en différé, ce type de crédit n’est pas près de disparaître : le marché du paiement en différé au Canada devrait atteindre 3,6 milliards $ US en 2021, soit une croissance de 41,1 %, et connaître une hausse annuelle de 14,7 % pour atteindre une valeur estimée de 9,4 milliards $ US en 202814. L’année 2021 a également vu plusieurs transactions et partenariats entre quelques acteurs clés du secteur, tels que l’acquisition de PayBright (une société de paiement en différé canadienne) par Affirm (une société de paiement en différé américaine comptant des partenaires comme Shopify et Peloton)15, l’acquisition annoncée d’Afterpay (une société de paiement en différé australienne) par Square16, l’acquisition proposée de Paidy, une société de paiement en différé japonaise, par PayPal17 et le partenariat conclu entre Affirm et Amazon visant à intégrer certaines options de paiement en différé au processus de paiement d’Amazon18.
Les banques ont récemment manifesté leur intention de faire concurrence aux sociétés de paiement en différé : quelques-unes ont lancé leurs propres programmes de versements ou de prêts à tempérament en 2021 et Visa a lancé Versements Visa, un partenariat avec les banques émettrices des cartes de crédit de Visa dans le cadre duquel les clients peuvent choisir de diviser le montant de leur achat, qu’il s’agisse d’articles de grande valeur ou d’achats quotidiens.
Nous nous attendons à ce que les services de paiement en différé continuent à faire l’objet de transactions et deviennent de plus en plus disponibles au cours de la prochaine année.
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