La décision de la Cour Suprême du Canada met fin à l’action collective en matière de harcèlement sexuel Rozon c. Les Courageuses
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Alors que se déroule le procès criminel, la Cour Suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec rejetant l’autorisation d’exercer une action collective en matière de harcèlement sexuel contre Gilbert Rozon, homme d’affaires québécois et fondateur de Juste pour rire1. La Cour d’appel du Québec a refusé l’autorisation au motif que les plaintes des victimes ne satisfaisaient pas à la condition de la question commune2. À la suite de cet arrêt de la Cour Suprême du Canada, il sera plus difficile pour les victimes d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel d’intenter une action collective contre l’auteur présumé lorsque le harcèlement a eu lieu hors d’un cadre institutionnel ou lorsque les allégations portent sur un comportement plutôt que sur une politique ou une pratique systémique.
Ce que vous devez savoir
- Autorisation par la Cour supérieure du Québec. En 2017, un groupe de femmes qui affirment avoir été agressées ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon a déposé à la Cour supérieure du Québec une demande d’autorisation pour exercer une action collective contre ce dernier. Elles alléguaient que Gilbert Rozon a utilisé son pouvoir et son influence pour les agresser et les harceler. L’action avait été intentée par Les Courageuses, une entité sans but lucratif formée pour représenter les victimes de Gilbert Rozon.
- L’action collective proposée avait été autorisée en 2018 par la Cour supérieure du Québec3. La Cour avait conclu que les demandes des membres du groupe soulevaient des questions identiques, similaires ou connexes, puisque les membres alléguaient toutes que Gilbert Rozon avait abusé de son influence pour les harceler et les agresser.
- Décision renversée en appel. La Cour d’appel a renversé l’autorisation, car elle estimait que les demandes des membres du groupe ne satisfont pas au critère de la question commune. Contrairement à d’autres actions collectives en matière de harcèlement sexuel autorisées au Canada, l’action contre Gilbert Rozon ne se rapportait pas à des allégations d’actes répréhensibles systémiques dans le cadre d’une politique ou pratique commune. Le seul élément commun des demandes des membres du groupe proposé était le comportement allégué de Gilbert Rozon à l’effet qu’il avait pour modus operandi d’abuser de sa position de pouvoir et d’influence pour victimiser les demanderesses.
- Un nouveau standard pour les d’actions collectives en matière de harcèlement sexuel. L’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Rozon place la barre plus haut pour les victimes d’agression et de harcèlement qui souhaitent exercer une action collective en dommages-intérêts. À moins que le harcèlement n’ait eu lieu dans un cadre institutionnel ou que la plainte ne soulève des allégations d’actes répréhensibles systémiques relatifs à une politique ou une pratique commune, il peut être difficile d’établir une question commune suffisante pour satisfaire aux critères d’autorisation d’une action collective.
L’action collective proposée contre Gilbert Rozon
Les Courageuses affirment que Gilbert Rozon a agressé au moins 20 femmes sur une période s’échelonnant sur au moins 34 ans et que ces événements ne représentent que « la pointe de l’iceberg »4. La représentante désignée, Patricia Tulasne, travaillait avec Gilbert Rozon dans le cadre d’une pièce de théâtre en 1994. Elle affirme que le M. Rozon l’a reconduite chez elle après un souper avec les autres membres de la troupe, puis qu’il est entré de force chez elle et l’a agressée sexuellement5. Pendant des années, elle était réticente à l’idée de porter une accusation d’agression sexuelle contre une personnalité publique aussi influente. Encouragée par le mouvement #MeToo (#MoiAussi), Patricia Tulasne a déposé la demande en 2017, réclamant 200 000 $ en dommages moraux et 200 000 $ en dommages pécuniaires pour perte de capacité de gains, ainsi que des dommages-intérêts punitifs6. Des dommages-intérêts pour les autres membres du groupe, à établir sur une base individuelle, étaient également réclamés.
L’arrêt de la Cour d’appel rejetant l’action
Le 8 janvier 2020, la Cour d’appel a refusé d’autoriser l’action collective contre Gilbert Rozon, en indiquant que les demandes des demanderesses ne présentaient une question commune suffisante pour satisfaire au critère d’autorisation en vertu du Code de procédure civile du Québec. Le seul élément commun était le modus operandi allégué de M. Rozon selon lequel il utilisait son pouvoir et son influence pour victimiser les demanderesses. Cependant, il ne s’agit pas d’une question commune à l’ensemble des membres du groupe, dont certaines n’étaient pas en position de subordination par rapport à Gilbert Rozon.
En outre, la demande soulevait de nombreuses questions individuelles. Les arguments des membres du groupe concernant la question de la prescription les obligeaient à prouver l’impossibilité d’agir contre M. Rozon en raison de son prestige et de sa popularité. Bien que le statut social de M. Rozon soit une caractéristique commune des demandes, l’incidence de cet élément sur chaque demanderesse était intrinsèquement subjective et ne pourrait pas être déterminée collectivement. La question des dommages pécuniaires ne pourrait pas non plus être décidée collectivement, car le montant de ces dommages-intérêts varierait en fonction du préjudice et de la souffrance subis par chacune des membres du groupe. Le montant des dommages-intérêts punitifs devrait également faire l’objet d’une détermination individuelle.
Ce que cette décision de la Cour d’appel signifie pour d’autres actions collectives
Rozon c. Les Courageuses soulevait une question nouvelle devant la Cour d’appel du Québec. Avant l’action proposée contre Gilbert Rozon, les actions collectives en matière de harcèlement sexuel intentées au Canada visaient des défendeurs institutionnels et alléguaient que les employés de ces défendeurs (ou leurs subordonnés) avaient commis une faute contre les membres du groupe et devraient en être tenus responsables. Les allégations portaient sur les actes répréhensibles systémiques des défendeurs, dans le cadre de politiques ou pratiques communes. Par exemple, dans Lewis v. WestJet Airlines Ltd., la représentante désignée du groupe, soit des agents de bord anciens / actuels, affirme avoir été agressée sexuellement par un pilote de WestJet lors d’une escale à Hawaï. Elle fait valoir que WestJet a commis une rupture de contrat systémique en ne traitant pas le harcèlement et les agressions sexuelles impliquant les pilotes selon les normes requises par ses propres politiques et qu’il était pratique courante pour WestJet d’étouffer les dénonciations, de protéger les pilotes et de réduire les victimes au silence. Des actions collectives similaires en matière de harcèlement sexuel ont été intentées contre la GRC, l’armée et des corps policiers7.
En revanche, l’action proposée contre le défendeur Rozon visait uniquement l’individu accusé d’avoir agressé les membres du groupe proposé. La demande ne comportait aucune allégation d’actes répréhensibles systémiques; elle portait plutôt sur un modus operandi allégué d’abus de pouvoir.
L’action collective qui est la plus similaire à l’affaire Rozon est Doucet v. The Royal Winnipeg Ballet, une action pour agression sexuelle et harcèlement sexuel intentée au nom des danseuses de l’école du Royal Winnipeg Ballet et de leurs conjoint(e)s. Dans cette affaire, les demanderesses affirmaient que Bruce Monk, enseignant et photographe influent de l’école, avait fait pression sur elles pour les inciter à poser nues ou peu vêtues pour des séances de photos entre 1984 et 2015. Bien que les allégations dans cette affaire soient similaires à celles dans Rozon en ce sens qu’elles portent sur la prétendue inconduite sexuelle d’un homme puissant et influent, le défendeur dans Doucet est l’école des membres du groupe et l’employeur de Bruce Monk. Par conséquent, les membres du groupe de l’action collective Doucet ont fait valoir des manquements systémiques concernant les politiques et les pratiques de l’établissement, ce qui a permis d’établir des points communs entre leurs demandes et de démontrer que l’action collective était le véhicule approprié. Cette distinction est utile pour comprendre pourquoi l’action collective a été autorisée par la Cour supérieure de l’Ontario en 2018 dans Doucet8, alors que la demande d’autorisation a été rejetée dans Rozon.
En fin de compte, à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Rozon, il sera probablement plus difficile pour les victimes d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel d’intenter une action collective contre leur agresseur présumé. Il semble que, pour l’instant, l’exercice d’une action collective en matière de harcèlement sexuel serait réservé aux situations où l’inconduite a eu lieu dans un cadre institutionnel – par exemple, au travail (comme dans WestJet) ou à l’école (comme dans Doucet). Si le harcèlement s’est produit en dehors d’un cadre institutionnel, les demandeurs et demanderesses devront mener une bataille difficile pour obtenir l’autorisation d’exercer une action collective.
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1 Les Courageuses c. Rozon, [2020] C.S.C.R. n° 99.
2 Rozon c. Les Courageuses, 2020 QCCA 5.
3 Les Courageuses c. Rozon, 2018 QCCS 2089.
4 Id., paragr. 62.
5 Id., paragr. 55.
6 Id., paragr. 37.
7 Voir Davidson v. Canada (Attorney General); Merlo v. Canada (Attorney General); Heyder, Graham, Schultz-Nielsen v. the Attorney General; Ross, Roy, Satalic v. Her Majesty the Queen; etc.
8 Doucet v. The Royal Winnipeg Ballet, 2018 ONSC 4008.
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