
Malgré un contexte macroéconomique particulièrement difficile en début d’année, le marché canadien des fusions et acquisitions demeure solide. Nous faisons le point sur les opérations réalisées au Canada au troisième trimestre de 2025, en analysant les tendances sous-jacentes et en anticipant sur ce qui pourrait se passer d’ici la fin de l’année.
Au terme du troisième trimestre, le marché canadien des fusions et acquisitions affiche un tableau très différent de celui prévu en début d’année. Même si les tarifs douaniers américains et les changements dans les politiques commerciales ont laissé leur empreinte sur 2025, comme nous le verrons ci-dessous, les opérations canadiennes ont rebondi vers le milieu de l’année et enregistrent une forte hausse par rapport à 2024, ce qui suggère que les marchés absorbent une partie du choc initial causé par la vague d’annonces tarifaires du président Trump. Depuis le début de l’année, la valeur totale des acquisitions publiques annoncées a augmenté de 150 % par rapport à la valeur totale des fusions et acquisitions réalisées l’année passée (voir la figure 1). Le nombre des opérations a cependant baissé (seulement 87 au moment où nous rédigeons cet article), ce qui indique que les conseils d’administration et les acquéreurs se sentent plus confiants pour réaliser des opérations plus importantes et plus sûres plutôt que des acquisitions de moindre envergure.

Les opérations représentant moins de 100 M$ et celles dont la valeur se situe entre 100 M$ et 500 M$ demeurent majoritaires sur le marché canadien. Cependant, bien que ces valeurs soient caractéristiques du marché canadien, les tendances d’une année à l’autre indiquent que les opérations de plus grande envergure sont de plus en plus fréquentes (voir la figure 2). Par exemple, les opérations de plus de 1 G$ ont augmenté de 85 % au cours des deux dernières années, ce qui tend à indiquer que les acheteurs canadiens ne restent plus en retrait dans l’attente d’une stabilisation de l’incertitude mondiale, mais tirent plutôt parti de la volatilité pour trouver des occasions. La hausse des prêts privés pourrait également contribuer à l’injection de liquidités indispensables dans un contexte où la mobilisation de fonds demeure difficile, permettant ainsi aux entreprises de prendre de l’expansion et de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.

Les matériaux de base, la technologie et les services financiers demeurent des sources attrayantes de cibles (voir la figure 3), tandis que les politiques d’investissement fédérales et les retombées positives du développement des infrastructures et de l’énergie dynamisent les marchés. À l’échelle mondiale, on assiste à une intensification des activités dans le secteur des matériaux de base, et les ressources naturelles canadiennes et leurs chaînes d’approvisionnement bien établies continuent de renforcer la position du pays comme grand fournisseur mondial de matières premières. Au Canada, les opérations enregistrées dans ce secteur ont été influencées par la mutation des relations commerciales et les politiques nationales qui encouragent, en partie, la mise en place de mesures de protection au sein de la chaîne d’approvisionnement ainsi que le développement de ressources essentielles. Si le Canada et d’autres pays poursuivent leurs efforts en faveur d’une économie plus verte et développent leurs infrastructures essentielles, notamment numériques, les entreprises pourraient trouver de nouvelles occasions d’acquisitions stratégiques dans le secteur des matériaux de base.

Une analyse des cinq plus grosses opérations annoncées cette année confirme les perspectives favorables pour les secteurs de l’énergie et des ressources naturelles au Canada, avec des opérations dans les secteurs des minéraux essentiels, de la production pétrolière et gazière, de la distribution de carburant et des énergies renouvelables. L’opération la plus importante a été l’annonce de la fusion entre Anglo American plc et Teck Resources Limited, une fusion entre égaux évaluée à 57 G$ US au total1, afin de former le groupe Anglo Teck, un leader mondial dans le domaine des minéraux essentiels et l’un des cinq premiers producteurs mondiaux de cuivre, dont le siège social est situé au Canada. La concentration des opérations de grande envergure dans le secteur de l’énergie et des ressources naturelles pourrait refléter les récents changements apportés aux politiques en matière de sécurité énergétique et de renforcement des chaînes d’approvisionnement dans un contexte d’incertitude géopolitique persistante. Il est également possible que les mesures incitatives mises en place par le gouvernement canadien, telles que les crédits d’impôt à l’investissement dans l’économie propre, contribuent à stimuler davantage les opérations dans le secteur.
Les acquisitions dans le secteur des services financiers ont également augmenté par rapport à l’année dernière, en partie grâce à l’innovation numérique continue, à des consolidations stratégiques et aux intégrations verticales, ainsi qu’aux méga-opérations réalisées par des entreprises disposant d’importantes réserves de trésorerie. Les acteurs du secteur des services financiers sont eux-mêmes en pleine période de transformation. De nombreuses entreprises ressentent la pression de devoir s’adapter et peuvent être amenées à privilégier des opérations leur permettant de se diversifier en acquérant des actifs de qualité, des entités de taille moindre ou des secteurs complémentaires venant renforcer leur chaîne de valeur. Les opérations de fusion et d’acquisition dans les domaines de la gestion d’actifs et des services bancaires de garde (en tant que cibles) ont représenté plus de 50 % des opérations. Parmi les opérations importantes dans ce domaine figurent l’acquisition de Gestion d’actifs Burgundy par BMO Groupe financier2, la privatisation de CI Financial Corp. par Mubadala Capital3 et l’acquisition par Desjardins de Guardian Capital Group4 en vue de sa transformation en société privée. Les raisons stratégiques invoquées en faveur de ces acquisitions comprenaient, entre autres, le renforcement du positionnement dans le secteur de la gestion de patrimoine indépendante canadienne et une amélioration des capacités à répondre aux besoins de la clientèle à valeur nette élevée ou très élevée.
Et, bien sûr, l’IA et d’autres innovations technologiques continuent également de contribuer de manière significative à ces opérations, les centres de données étant très convoités. Parmi les principales opérations de ce secteur, on peut citer l’investissement annoncé cette année par Pembina Pipeline Corp. dans une grande centrale électrique au gaz naturel pouvant alimenter un immense complexe de centres de données. Toutefois, la baisse de 3 % des acquisitions dans le secteur technologique par rapport à l’année dernière pourrait indiquer un désintérêt pour les actifs liés à l’IA, dans la mesure où certaines organisations espèrent obtenir un meilleur retour sur investissement.
Les opérations transfrontalières sont encore contrastées : les bases solides des secteurs industriels et des matériaux de base au Canada attirent les investisseurs étrangers, mais les opérations canadiennes à l’étranger demeurent discrètes. Les résultats des opérations étrangères sont légèrement faussés par la fusion entre Anglo American plc et Teck Resources Limited, mais même en tenant compte de ce facteur, la valeur des opérations étrangères se maintient à un niveau élevé pour le troisième trimestre de l’année (voir la figure 4). Parallèlement, les opérations à l’étranger ont enregistré une légère baisse (voir la figure 5), mais les acquéreurs dans le secteur des services financiers continuent de réaliser la majorité des opérations à l’étranger, en investissant leurs réserves de capital aux États-Unis et en Europe.
L’incertitude entourant les tarifs douaniers et leurs répercussions sur la première moitié de 2025 a généralement ralenti les flux transfrontaliers. Cependant, les États-Unis demeurent l’un des principaux acquéreurs au Canada, tant du point de vue du nombre que de la valeur des opérations, et ils continuent également d’être l’une des principales sources de cibles pour le Canada. Globalement la confiance des acquéreurs devrait continuer à s’améliorer à mesure que les deux pays poursuivent leurs efforts vers un accord commercial5. À l’échelle mondiale, les acquéreurs doivent s’adapter à l’incertitude géopolitique et tenir compte des risques liés aux tarifs douaniers dans la structure de leurs négociations. En conséquence, nous prévoyons une augmentation du nombre de ces opérations transfrontalières.


Les négociateurs devront tenir compte du resserrement de la surveillance réglementaire sur les opérations de fusion et acquisition. Au Canada, les récentes modifications à la Loi sur la concurrence (la Loi) ont renforcé les outils et la posture du Bureau de la concurrence en matière d’application de la loi, particulièrement à l’égard des acquisitions en série de type « regroupement ». Certaines de ces modifications ont pour effet de présumer comme anticoncurrentielles les fusions et acquisitions stratégiques qui dépassent les seuils de concentration prévus par la Loi, faisant ainsi peser le fardeau de la preuve sur les parties à la fusion. Depuis ces modifications, l’examen des fusions est devenu plus long et plus complexe, en partie parce que le Bureau a désormais tendance à consacrer des ressources substantielles à la définition des marchés et au calcul des parts de marché. Cela peut se traduire par des assignations coûteuses et complexes pour la production de documents. De plus, les investisseurs étrangers dans des entreprises canadiennes importantes, en particulier dans les secteurs des ressources, de l’énergie et des infrastructures, doivent s’attendre à un contrôle accru en matière de sécurité nationale en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Parallèlement, le gouvernement est bien conscient de la nécessité de promouvoir les investissements étrangers au Canada et s’efforce par conséquent de trouver un équilibre entre un contrôle accru dans certains secteurs et une approche plus pragmatique dans d’autres. Les investisseurs doivent également s’attendre à ce que davantage d’investissements soient approuvés sous certaines conditions ainsi qu’à une diminution du nombre des opérations bloquées. Par ailleurs, le gouvernement fédéral a lancé cette année plusieurs initiatives qui témoignent de sa volonté de favoriser la prospérité des entreprises et de soutenir l’augmentation des investissements au Canada, notamment la Loi visant à bâtir le Canada et des incitatifs fiscaux visant à encourager les caisses de retraite et d’autres investisseurs institutionnels canadiens à engager davantage de capitaux au pays.
Les données du troisième trimestre suggèrent que la chance pourrait sourire aux plus audacieux en 2025 : les entreprises qui concluent des opérations de transformation ou recherchent des options stratégiques auprès de vendeurs pourraient être mieux placées pour surmonter les incertitudes géopolitiques. Les inquiétudes du début de l’année (tarifs douaniers, hausse de l’inflation et changements réglementaires, notamment) s’étant apaisées, de plus en plus d’acheteurs et de vendeurs sont impatients de relancer les négociations, ce qui laisse présager une dynamique soutenue et une fin d’année florissante pour les opérations de fusion et acquisition canadiennes.
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