Un lien pas suffisamment étroit : la Cour supérieure rejette une action collective concernant des valeurs mobilières pour absence de compétence
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Le mois dernier, la Cour supérieure du Québec a rejeté une action collective proposée visant Aphria inc., au motif qu’il n’existe pas un lien étroit avec le Québec1. Cette décision ouvre la voie aux contestations relatives à la compétence au stade de l’autorisation des actions collectives et fournit un aperçu utile de l’application du critère du « lien étroit » dans le contexte des litiges en matière de valeurs mobilières.
Ce que vous devez savoir
- Les demandeurs, deux résidents du Québec, alléguaient qu’Aphria avait fourni des informations fausses ou trompeuses concernant la valeur de l’une de ses acquisitions, lesquelles auraient entraîné une chute de 25% du cours des actions, une fois rectifiées publiquement.
- La demande d’action collective était fondée sur la Loi sur les valeurs mobilières2 du Québec et sur les principes généraux de la responsabilité civile3.
- Il incombait aux demandeurs de démontrer la compétence des tribunaux québécois.
- Les défendeurs n’avaient aucun domicile, établissement ou salarié au Québec, et il n’existait aucune entente en vertu de laquelle un litige avec les actionnaires serait soumis à un tribunal québécois.
La décision
L’honorable Thomas Davis, juge de la Cour supérieure du Québec, a accueilli la demande des défendeurs de rejeter l’action proposée pour des motifs touchant la compétence. Puisque la décision portait sur un moyen déclinatoire plutôt que sur une demande d’autorisation, où les allégations sont tenues pour avérées, la Cour a nuancé la jurisprudence selon laquelle les tribunaux ne peuvent trancher que de pures questions de droit à cette étape. La Cour a conclu qu’aucun élément de preuve supplémentaire, autre que ceux déposés, n’était nécessaire pour déterminer sa compétence.
Application de la Loi sur les valeurs mobilières
L’une des questions centrales consistait à déterminer si les dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières concernant le marché secondaire s’appliquaient à Aphria inc. La Cour avait conclu que cette dernière n’était pas un émetteur assujetti pendant la période visée par l’action collective. Les demandeurs soutenaient que les tribunaux québécois avaient néanmoins compétence en vertu des dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières relatives au placement de titres. La Cour a rejeté cet argument en indiquant que l’action ne concernait pas le placement, mais plutôt l’achat ou la vente de titres ayant déjà fait l’objet d’un placement, et l’incidence des informations fausses ou trompeuses sur les titres.
Un « lien étroit » avec le Québec
Il revenait aux demandeurs de démontrer la compétence des tribunaux québécois en vertu du Code civil du Québec (C.c.Q.) ou en vertu d’un « lien étroit » qu’entretiendrait Aphria avec le Québec pour les fins de la Loi sur les valeurs mobilières. La Cour a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de ce fardeau, entre autres pour les raisons suivantes :
- Il existe une distinction entre la possibilité pour Aphria de vendre des actions à des résidents du Québec et le fait de vendre des actions au Québec, ce qui requiert le statut d’émetteur assujetti.
- Les ententes commerciales d’Aphria avec le distributeur de cannabis du Québec ne créent pas un lien étroit aux fins d’une action concernant des infractions alléguées aux obligations d’un émetteur assujetti en vertu de la législation sur les valeurs mobilières;
- Selon l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Infineon4, tout dommage ayant été subi par les demandeurs aurait seulement été comptabilisé au Québec, sans qu’un préjudice soit subi dans cette province.
En outre, la Cour a estimé qu’aucune faute n’a été commise au Québec. Les comptes de courtage des demandeurs étaient en Ontario, les ordres relatifs aux actions avaient été exécutés par un courtier ontarien et les transactions ont eu lieu dans cette même province. La Cour a reconnu que la faute alléguée des défendeurs ne concernait pas la vente ou la négociation d’actions, mais plutôt les informations fausses ou trompeuses en Ontario à l’égard de transactions avec des tiers et relatives à des sociétés étrangères, également réalisées dans cette province. Bien que la Cour ait reconnu l’effet préjudiciable des déclarations alléguées au-delà de l’Ontario, elle a conclu que la faute a été commise hors du Québec.
Absence de compétence dans le contexte de l’action collective
La Cour s’est également penchée sur les arguments des défendeurs soutenant l’absence de compétence des tribunaux québécois. En se fondant sur la jurisprudence5, la Cour a reconnu que les principes relatifs au forum non conveniens peuvent s’appliquer au contexte de l’action collective, mais que cela prendrait des circonstances exceptionnelles pour qu’un tribunal québécois décline compétence pour un tel motif. La Cour a estimé que la solution la plus vraisemblable serait de suspendre la procédure, ce qui lui permettrait de surveiller les intérêts des membres du groupe du Québec dans un litige parallèle en Ontario.
Conclusion
Bien que le seuil d’autorisation d’une action collective au Québec demeure peu élevé, cette décision confirme que les défendeurs peuvent valablement s’opposer à la compétence des tribunaux québécois à cette étape. Elle précise que la portée et la séquence des événements déclenchés par des informations fausses ou trompeuses dans le contexte des valeurs mobilières ne sont pas infinies et ne peuvent servir d’arguments justifiant la compétence des tribunaux du Québec lorsqu’aucun préjudice ne survient dans cette province. L’approche de la Cour supérieure pourrait créer un précédent utile à l’échelle du Canada quant à la façon dont elle aborde les enjeux complexes de compétence et de for en matière de litiges en valeurs mobilières.
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1 Ranger c. Aphria inc., 2021 QCCS 534.
2 RLRQ, c V-1.1 [Loi sur les valeurs mobilières].
3 Art. 1457 Code civil du Québec.
4 Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.
5 Zuckerman c. Target Corporation, 2017 QCCS 110.
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