Conférencières
Suzie Cloutier
Sylvie Rodrigue (00:05) : Bonjour, mon nom est Sylvie Rodrigue et je suis accompagnée de ma collègue Suzie Cloutier. Et aujourd’hui, nous allons discuter brièvement de quelques points saillants en matière d’actions collectives au Québec.
Suzie Cloutier (00:20) : Quelles sont les principales tendances qui affectent le Québec présentement?
Sylvie Rodrigue (00:24) : Alors, c’est difficile de parler des tendances qui affectent le Québec sans parler de ce qui se passe à l’extérieur du Québec, notamment parce qu’en matière d’actions collectives multijuridictionnelles, le tandem habituel du dépôt d’actions collectives en Ontario et au Québec s’est maintenant transformé en dépôt simultané d’actions collectives en Colombie-Britannique et au Québec. Et ceci découle des amendements à la Loi sur les actions collectives de l’Ontario en 2020, qui a rendu la certification un peu plus difficile pour les demandeurs.
Et donc le barreau a essentiellement déménagé en Colombie-Britannique, et même des bureaux en demande de la Colombie-Britannique ont ouvert au Québec pour permettre ce dépôt simultané. En termes de types de dossiers, le droit de la consommation demeure très très populaire, de même que les actions en responsabilité du fait des produits. Les actions en valeurs mobilières ont ralenti (les actions collectives en valeurs mobilières), mais il y a une augmentation des actions collectives en matière de droit de l’emploi, de vie privée et très très récemment, au niveau de la responsabilité des plateformes en ligne et des médias sociaux. Une autre tendance qui n’est pas nouvelle à 2023-2024, qui avait commencé il y a quelques années, mais qui s’accentue, est de se rendre à procès.
Alors, la tendance historique de régler les actions collectives immédiatement après la décision sur l’autorisation n’est plus. On a de plus en plus de dossiers qui se dirigent vers le procès et c’est le revers de la médaille d’avoir eu une jurisprudence qui a abaissé la barre pour que les dossiers soient autorisés. En revanche, les défenderesses veulent aller à procès pour pouvoir se défendre convenablement à l’action collective. Et enfin, je dirais que (et c’est très propre au Québec) en matière contractuelle, mais surtout, plus récemment, en matière extracontractuelle, il y a vraiment une tendance à déposer des actions contre toute une industrie. On voit des actions collectives proposées contre 5, 10, 15, 20, parfois 40 défenderesses, ce qu’on ne voit pas ailleurs dans les autres juridictions.
Suzie Cloutier (02:25) : Dans ce contexte, nous savons que de nombreuses actions collectives au Québec sont calquées sur celles déposées aux États-Unis, dans les autres provinces canadiennes et même en Australie. Quelles sont les principales différences entre le régime d’actions collectives au Québec et ceux des autres juridictions?
Sylvie Rodrigue (02:28) : Il y en a beaucoup trop pour le temps qui nous est alloué, mais je vais en souligner quelques-unes. D’abord, en indiquant que même si le test pour obtenir l’autorisation d’une action collective peut paraître similaire sur papier à celui dans les autres juridictions, il faut comprendre que son interprétation est complètement différente et le processus menant vers l’autorisation est également complètement différent.
D’abord, la poursuite n’existe pas. Dans les autres juridictions, il y a une réclamation et une demande en certification de cette réclamation comme action collective. Au Québec, c’est une demande pour permission de déposer une action. Alors, ceci a un impact sur les moyens préliminaires qui sont permis. Par exemple, au Québec, il n’y a pas de requête en rejet, parce qu’il n’y a rien à rejeter, l’action n’existe pas encore. Une autre importante différence est dans la preuve. Dans les autres juridictions, il y a de la preuve de plein droit qui est déposée. Au Québec, les défenderesses doivent demander la permission de déposer de la preuve et d’interroger le demandeur ou la demanderesse. C’est un couloir qui est excessivement étroit. C’est de plus en plus refusé, alors le processus est beaucoup plus rapide pour se rendre à l’autorisation, avec très très peu de preuves devant la Cour.
En fait, le demandeur n’a même pas besoin d’appuyer sa demande en permission de déposer une action collective d’un affidavit par exemple, ou d’une déclaration sous serment. Au Québec, il n’y a pas de test de prédominance. La prédominance existe maintenant en Ontario et on sait qu’elle existe aux États-Unis en vertu de la Règle 23. Au Québec, c’est plutôt le contraire.
Il ne suffit que d’une seule question commune pour que le dossier puisse être autorisé, en autant que cette question fasse suffisamment avancer le débat pour les membres du groupe. Dans la majorité des dossiers, c’est plutôt facile de trouver au moins une question commune, alors le cheval de bataille en défense est rarement les questions communes, mais plutôt l’insuffisance des allégations.
Jusqu’à récemment, il y avait un certain succès à contester les demandes d’autorisation lorsque les allégations étaient trop vagues et générales, par exemple. La Cour d’appel, malheureusement, vient encore une fois d’abaisser la barre. On sait au Québec que la Cour nous enseigne que le juge peut lire entre les lignes et combler les vides factuels. Alors même à ce niveau-là, c’est rendu difficile de contester les demandes d’autorisation.
Par contre, s’il est clair à sa face même que le recours personnel du représentant n’a aucune chance de succès et est complètement frivole, par exemple parce que son recours personnel est prescrit, c’est une façon de contester l’autorisation. Enfin, je dirais que contrairement surtout aux États-Unis, il y a très peu de précédents en termes de décisions au mérite, parce que ce n’est que récemment que les dossiers se rendent au mérite.
Le droit est en développement à ce niveau-là, et lorsqu’on nous demande comment ça a été décidé au fond, on a très très peu de précédents pour répondre à la question.
Suzie Cloutier (05:35) : Considérant ce qui précède, quels conseils donneriez-vous à des clients confrontés à des actions collectives au Québec?
Sylvie Rodrigue (05:41) : Mon conseil primaire est : défendez-vous et c’est en ligne avec ce dont on vient de discuter. Non seulement le droit est sous-développé, mais ce que l’on voit, c’est que les avocats en demande s’attendent souvent à un règlement après l’autorisation. Et lorsqu’il y a des règlements trop rapides, nos clients deviennent de plus en plus ciblés pour la prochaine action collective.
Alors, la façon de rétablir l’équilibre à l’autorisation éventuellement, selon nous, c’est de se défendre, d’amener ces dossiers à procès, d’obtenir des jugements au mérite. Et à ce moment-là, peut-être que l’équilibre va revenir éventuellement.
Le régime d’actions collectives du Québec continue d’être l’un des plus favorables aux demandeurs au pays.
Dans cette vidéo, Sylvie Rodrigue, Ad. E., et Suzie Cloutier font le point sur les récentes tendances, notamment :
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