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Avec la mondialisation, les ententes multinationales sont monnaie courante. En cas de litige entre les parties, un tribunal canadien est-il compétent à l’égard de défendeurs qui ne résident pas au Canada?
Dans Sinclair c. Venezia Turismo, la Cour suprême du Canada donne de nouvelles indications sur les conditions dans lesquelles un tribunal canadien peut se déclarer compétent à l’égard d’un défendeur étranger lorsqu’un contrat entre les parties aurait été conclu dans la province1. La décision donne aux défendeurs étrangers des arguments pour contester la compétence des tribunaux canadiens dans des litiges contractuels où les liens avec le Canada sont ténus.
Les appelants, Duncan et Michelle Sinclair, ont été blessés pendant des vacances en Italie2. M. Sinclair a réservé leur voyage par un service de conciergerie associé à sa carte de crédit Amex Canada3. Lorsque M. Sinclair est arrivé en Italie, il a fait appel au service de conciergerie pour réserver le transport jusqu’à son hôtel4. Le service de conciergerie a alors réservé un bateau-taxi auprès d’un fournisseur de service de transport indépendant5. Les Sinclair ont été blessés pendant le trajet en bateau-taxi et ont intenté une action en Ontario pour réclamer des dommages-intérêts à plusieurs défendeurs, y compris les sociétés italiennes propriétaires et exploitantes du bateau-taxi6.
Les défenderesses italiennes ont présenté une motion en vue d’obtenir le rejet ou la suspension de la poursuite, au motif que le tribunal de l’Ontario n’avait pas compétence à leur égard. La juge des motions a rejeté la motion des défenderesses, concluant que plusieurs contrats en l’espèce étaient suffisamment liés à l’Ontario. La juge des motions a également invoqué le principe du forum non conveniens, expliquant que les défenderesses italiennes n’avaient pas prouvé que l’Italie était manifestement un ressort plus approprié7.
La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel, statuant que les tribunaux ontariens n’avaient pas compétence à l’égard des défenderesses italiennes8. En particulier, les juges majoritaires ont conclu que les ententes contractuelles entre les Sinclair et Amex n’envisageaient pas l’intervention des défenderesses italiennes et que, par conséquent, les arrangements avec le bateau-taxi n’étaient pas suffisamment liés au contrat établi en Ontario.
Dans une décision partagée à 5 contre 4, les juges majoritaires de la Cour suprême ont rejeté l’appel et confirmé que les tribunaux ontariens n’avaient pas compétence à l’égard des défenderesses italiennes. S’il y avait bien un contrat ontarien en lien avec le litige (la convention avec Amex), ce contrat n’était pas suffisant à lui seul pour fonder la compétence, puisqu’il n’avait pas de lien réel et substantiel avec le litige.
Pour évaluer la reconnaissance de la compétence, la Cour a appliqué le test en deux étapes visant à établir l’existence d’un « lien réel et substantiel » énoncé dans l’arrêt Club Resorts Ltd. c. Van Breda9. À la première étape du test, le demandeur doit établir un « lien de rattachement » entre l’objet du litige et le ressort, ce qui crée une présomption de juridiction. À la deuxième étape, le défendeur a la possibilité de réfuter la solidité de ce lien10. En l’espèce, les Sinclair cherchaient à établir le quatrième facteur de rattachement énuméré dans l’arrêt Van Breda, à savoir qu’un contrat lié au litige avait été conclu en Ontario.
Concernant la première étape du test, les juges majoritaires ont estimé que la convention du titulaire de la carte intervenue entre M. Sinclair et Amex Canada avait été conclue en Ontario et que, par conséquent, un facteur de rattachement créant une présomption était établi pour cette convention. Le contrat pour les services de bateau-taxi avait toutefois été conclu sur un quai à Venise. Or, une « constellation de contrats » ne peut pas permettre de conclure à un lien réel et substantiel si chacun de ces contrats, en soi, est insuffisant à établir un lien entre le défendeur et l’Ontario11.
À la deuxième étape du test, les défenderesses italiennes ont réfuté la présomption de compétence et montré que la convention du titulaire de la carte n’avait pas de lien réel et substantiel avec l’accident du bateau-taxi en Italie. Le seul lien entre le litige et la convention du titulaire de la carte était la « réservation non-contraignante faite auprès [du fournisseur de service de transport indépendant] par l’entremise d’une agente d’Amex Canada »12. Assumer juridiction en se basant sur un lien aussi ténu reviendrait, selon les juges majoritaires, à « [imposer] un lourd fardeau difficile à justifier » aux parties à de futurs conflits de compétences liés à des actions en responsabilité délictuelle13.
Enfin, les juges majoritaires ont réitéré que le principe du forum non conveniens n’est pas une considération appropriée dans le cadre du test à deux étapes de l’arrêt Van Breda. Le forum non conveniens est en fait un pouvoir de réparation discrétionnaire qu’on ne peut invoquer que lorsque la compétence d’un tribunal à l’égard d’une affaire a été établie.
Les juges minoritaires auraient accueilli l’appel, estimant que l’Ontario avait juridiction à l’égard des défenderesses italiennes.
Si la décision souscrit à une norme solide, la Cour n’a pas précisé quelle était la norme de preuve requise pour établir un « lien réel et substantiel ». Les juges dissidents appuyaient la « norme peu rigoureuse » de la « cause tout à fait défendable »14, mais les juges majoritaires ont estimé qu’il ne s’agissait pas d’un « cas indiqué pour [se] prononcer sur l’applicabilité de cette norme »15. Tant que cette norme ne sera pas mieux définie, les demandeurs ne sauront pas exactement ce qui constitue un « lien réel et substantiel » suffisamment solide pour qu’un tribunal fonde sa compétence et que le forum non conveniens puisse être invoqué.
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