25 juin 2025Calcul en cours...

Accès à la psilocybine : la Cour d’appel fédérale ordonne au gouvernement de justifier son changement de position

Les politiques sont susceptibles de changer au fur et à mesure que la science évolue. Mais lorsque des changements stratégiques influent sur la manière dont un décideur exerce son pouvoir discrétionnaire, celui-ci doit alors justifier la nouvelle approche qu’il adopte. À défaut, une telle décision pourrait être contestée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ce fut la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Toth v. Canada1, dans laquelle celle-ci a annulé les décisions refusant l’accès à la psilocybine, le composé psychoactif contenu dans les champignons magiques.

Ce que vous devez savoir

  • La Cour annule une décision rejetant une demande d’accès à la psilocybine. La Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la ministre de la Santé mentale et des Dépendances de refuser une exemption à un groupe de professionnels de la santé qui souhaitaient utiliser la psilocybine à des fins de formation expérientielle. La décision ne répondait pas aux principes de justification et de transparence de l’arrêt Vavilov, car la ministre avait déjà fait droit à des demandes presque identiques, sans toutefois expliquer le changement de sa position à cet égard.
  • Les décideurs doivent justifier les dérogations aux pratiques antérieures. Cette affaire confirme le principe selon lequel les autorités de réglementation ne peuvent pas prendre de décisions contradictoires sans explication. À défaut de fournir une justification adéquate pour s’écarter des pratiques antérieures, leurs décisions risquent d’être annulées à l’issue d’un contrôle judiciaire.
  • Les pratiques antérieures peuvent s’avérer utiles au moment de présenter une demande à une autorité de réglementation. La pratique et les décisions antérieures sont utiles lorsqu’il s’agit de faire valoir son point de vue auprès d’une autorité de réglementation. Bien qu’elles ne lient pas les autorités de réglementation, elles constituent un fondement et une contrainte pour leurs décisions futures. Même si cette affaire concernait une décision de la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, les tribunaux sont susceptibles d’adopter la même approche avec d’autres autorités de réglementation, telles que Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments.
  • Délai d’appel. La ministre a jusqu’au début de l’automne pour déposer une demande d’autorisation d’appel auprès de la Cour suprême du Canada.

Le contexte de la demande de dérogation pour la possession et la consommation de psilocybine

La psilocybine est le composé psychoactif des champignons magiques. La possession de cette substance est interdite par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le ministre fédéral de la Santé mentale et des Dépendances a toutefois le pouvoir discrétionnaire d’accorder des dérogations « s’il estime que des raisons d’intérêt public, notamment des raisons médicales ou scientifiques, le justifient »2.

Dans cette affaire, des professionnels de la santé cherchaient à posséder et à consommer des champignons contenant de la psilocybine dans le cadre d’un programme de formation sur la psychothérapie assistée par la psilocybine. Ce programme, dirigé par un groupe de défense des patients sans but lucratif, a pour objectif est d’aider les Canadiens à bénéficier de ce type de psychothérapie, et exige des professionnels de la santé qu’ils suivent une « formation expérientielle »au cours de laquelle ils doivent consommer eux-mêmes de la psilocybine et en ressentir les effets afin qu’ils puissent [traduction] « fournir le traitement le plus sûr et le plus efficace possible à leurs patients »3.

En 2020, Santé Canada avait accordé une dérogation à un groupe de professionnels de la santé qui suivaient ce programme de formation. Mais en 2022, la ministre a refusé des demandes pratiquement identiques. La raison invoquée par cette dernière était que les professionnels de la santé pouvaient y avoir accès par le biais d’un essai clinique et que, par conséquent, une dérogation n’était pas nécessaire. La ministre a décrit ce changement d’approche comme une « évolution » de la position du Bureau des essais cliniques sur la question, sans donner plus de détails4.

Les professionnels de la santé, des patients potentiels ainsi que d’autres personnes ont déposé une demande de contrôle judiciaire contestant la décision de la ministre pour plusieurs raisons, notamment son caractère déraisonnable pour un certain nombre de motifs et son incompatibilité avec les dispositions de la Charte.

La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire5. Les demandeurs ont porté la décision en appel.

La décision de la Cour d’appel fédérale

La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel. Malgré le fait qu’elle a rejeté la plupart des motifs invoqués par les professionnels de la santé pour justifier un contrôle judiciaire, la Cour a conclu que la décision de la ministre était déraisonnable. En effet, cette dernière n’avait pas expliqué en quoi sa décision de 2022 était différente de celle de 2020. La Cour a reconnu que [traduction] « c’est une évidence que la science n’est pas immobile, et les décideurs qui s’appuient sur la science ne doivent pas non plus rester immobiles — et espérons qu’ils ne le feront jamais — mais, au contraire, prendre leurs décisions en temps réel sur la base des éléments de preuve dont ils disposent »6. Toutefois, la simple reconnaissance de l’« évolution » de la position du Bureau des essais cliniques sur la question constitue une conclusion, et non une justification. L’absence de justification n’a pas permis d’assurer la transparence nécessaire à une décision raisonnable au sens de l’arrêt Vavilov7 de la Cour suprême du Canada, qui fait autorité en matière de contrôle judiciaire. La décision a été renvoyée à la ministre pour qu’elle la réexamine8.

Les arguments fondés sur la Charte ont été rejetés parce que l’intérêt des professionnels de la santé à fournir des résultats optimaux n’est pas un droit reconnu par la Charte, et même si des intérêts fondés sur la Charte étaient en cause, la décision reflète un équilibre proportionné9. Quant à l’argument des appelants concernant le bien-fondé d’un débat scientifique (à savoir si la formation expérientielle était nécessaire à la réussite de la psychothérapie assistée par la psilocybine), cette question ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire10.

Conséquences

La décision Toth pourrait s’appliquer à tous les contextes hautement réglementés. Les administrateurs de la fonction publique ne peuvent pas « limiter »leur pouvoir discrétionnaire en prétendant être liés par leurs propres politiques et leurs décisions antérieures. D’un autre côté, cet arrêt illustre l’importance de la cohérence. Lorsque les administrateurs rendent des décisions qui entrent en conflit avec leurs propres décisions antérieures, ils doivent s’acquitter d’un « fardeau justificatif »pour expliquer leur changement de position. Dans le cas contraire, leurs décisions sont susceptibles d’être contestées dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

Les pratiques antérieures des autorités de réglementation peuvent constituer un argument important. En l’absence d’une justification et d’une explication convaincante, les autorités de réglementation devraient généralement se laisser guider par leurs décisions antérieures et parvenir à des conclusions similaires dans des situations semblables.


  1. 2025 CAF 119.
  2. Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19, art. 56(1).
  3. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2025 CAF 119, par. 4.
  4. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2025 CAF 119, par. 92.
  5. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2023 CF 1283.
  6. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2025 CAF 119, par. 91.
  7. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2025 CAF 119, par. 92-95.
  8. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2025 CAF 119, par. 14.
  9. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2025 CAF 119, par. 56.
  10. Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2025 CAF 119, par. 96.

Si vous souhaitez discuter ces enjeux et ces questions, veuillez contacter les auteurs.

Cette publication se veut une discussion générale concernant certains développements juridiques ou de nature connexe et ne doit pas être interprétée comme étant un conseil juridique. Si vous avez besoin de conseils juridiques, c'est avec plaisir que nous discuterons les questions soulevées dans cette communication avec vous, dans le cadre de votre situation particulière.

Pour obtenir la permission de reproduire l’une de nos publications, veuillez communiquer avec Janelle Weed.

© Torys, 2025.

Tous droits réservés.
 

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières nouvelles

Restez à l’affût des nouvelles d’intérêt, des commentaires, des mises à jour et des publications de Torys.

Inscrivez-vous maintenant