11 novembre 2024Calcul en cours...

La Cour d’appel de l’Ontario refuse d’appliquer une convention d’arbitrage au motif qu’elle est inique et contraire à l’ordre public

La récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Lochan v. Binance Holdings1 démontre que les tribunaux de l’Ontario continuent d’examiner de près les clauses d’arbitrage de certains contrats types. La décision dans l’affaire Lochan, où la Cour refuse de confirmer la clause d’arbitrage en litige, s’oppose à plusieurs décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont prononcé le sursis de recours collectifs envisagés au profit de clauses d’arbitrage figurant dans des contrats types. En analysant ces affaires et les différentes clauses d’arbitrage en litige, on constate que les tribunaux sont plus enclins à appliquer une clause d’arbitrage d’un contrat type lorsqu’il est établi que les membres du groupe envisagé ont, en pratique, accès à la procédure d’arbitrage. Lorsque l’arbitrage est jugé pragmatiquement inaccessible, les tribunaux sont plus enclins à refuser de suspendre un recours collectif envisagé au profit d’un arbitrage2.

Ce que vous devez savoir

  • En règle générale, les litiges relatifs à la validité d’une clause d’arbitrage ou à la compétence d’un arbitre sont tranchés en premier lieu par l’arbitre, sauf dans les cas suivants :
    • lorsque la contestation de la compétence repose uniquement sur une question de droit ou une question mixte de droit et de fait qui ne requiert qu’un examen superficiel de la preuve;
    • lorsqu’il existe des obstacles qui empêchent une personne de soumettre, d’un point de vue fonctionnel, une affaire à l’arbitrage pour résoudre ces questions.
  • Les tribunaux examinent généralement de plus près les clauses d’arbitrage des contrats types que celles des contrats négociés par des gens d’affaires avisés. Les clauses d’arbitrage des contrats types sont fréquemment confirmées par les tribunaux. Au bout du compte, la question de savoir si une clause d’arbitrage est valide repose sur le contenu de la clause et les circonstances du litige. Les tribunaux ont ainsi accueilli favorablement les clauses qui prévoyaient les éléments suivants :
    • un arbitrage régi par le droit local
    • des audiences locales ou virtuelles
    • des frais non prohibitifs
    • une option de retrait
  • Dans le cadre d’un recours collectif, les tribunaux peuvent analyser les conséquences d’une clause d’arbitrage d’un contrat type du point de vue du membre moyen du groupe plutôt que de celui des représentants des demandeurs.

Contexte

Les demandeurs ont introduit un recours collectif envisagé en juin 2022 dans lequel ils alléguaient que Binance, une plateforme de négociation de cryptomonnaies et de dérivés connexes, avait vendu des titres sans distribuer de prospectus3.

La défenderesse a demandé le sursis du recours collectif envisagé au profit d’un arbitrage. Lors de leur inscription sur la plateforme, les nouveaux utilisateurs ont été informés qu’ils pouvaient s’inscrire en moins de 30 secondes et ont été invités à accepter des conditions générales qui contenaient une clause d’arbitrage pouvant être modifiée à la discrétion de la défenderesse4. Au cours de la période visée par le recours collectif, la défenderesse a modifié unilatéralement la clause d’arbitrage à quatre reprises5.

La modification la plus récente de la clause d’arbitrage prévoyait que les parties devaient soumettre tous les différends (peu importe leur ampleur) à l’arbitrage à Hong Kong, selon le droit hongkongais. Le coût médian d’un arbitrage effectué selon les règles d’arbitrage convenues par les parties était de 26 743 $ US pour les litiges inférieurs à 1 million de dollars US6. Or, la réclamation de l’investisseur moyen était de 5 000 $ CA7.

La Cour d’appel se penche sur la question de la validité et du caractère inique de la clause d’arbitrage dans ces circonstances.

Un contrat valide a-t-il été conclu?

La première question que doit se poser un tribunal pour déterminer s’il doit ordonner le sursis d’un recours collectif envisagé au profit d’un arbitrage est celle de savoir si le contrat est lui-même exécutoire8. Dans de nombreux cas, cette question ne fait pas l’objet de contestations. La Cour d’appel souligne toutefois qu’il est important de garder à l’esprit les exigences de base de la formation des contrats et la possibilité qu’un contrat soit nul.

Dans cette affaire, les demandeurs font valoir que le contrat est nul parce qu’il est contraire à la loi. Toutefois, la Cour ne traite pas de cet argument et s’appuie plutôt sur d’autres motifs pour rendre sa décision9.

Qui décide de la validité?

La Cour d’appel souligne qu’en vertu du principe de compétence-compétence, l’arbitre est généralement habilité à juger en premier de la validité d’une clause d’arbitrage ou de sa propre compétence. En général, la cour s’en remet aux décisions de l’arbitre à cet égard. Toutefois, cette procédure habituelle est soumise à des exceptions restreintes, dont deux ont été appliquées par la Cour dans cette affaire :

  1. Lorsque la question de savoir si la clause est nulle repose uniquement sur une question de droit. La Cour conclut que la validité repose uniquement sur une question de droit, parce que le juge devait interpréter un contrat type (ce qui est une question de droit10) et que la Cour, bien qu’elle ait examiné le dossier factuel, n’a pas eu besoin de tirer de conclusions de fait sur le représentant des demandeurs11.
  2. Lorsqu’il existe des obstacles qui empêchent une personne, d’un point de vue fonctionnel, de soumettre une affaire à l’arbitrage pour statuer sur la compétence12. La Cour conclut qu’en raison du coût, de la distance et du choix du droit applicable imposés par la clause d’arbitrage, il n’y a aucune possibilité réelle que la contestation de la validité du contrat soit résolue par voie d’arbitrage13.

Par conséquent, la Cour décide que, dans les circonstances, la validité de la clause d’arbitrage ne doit pas être tranchée en premier lieu par un arbitre.

La clause d’arbitrage est-elle valide?

Après avoir déterminé qu’elle était compétente pour statuer sur la validité, la Cour se penche sur l’argument de la défenderesse selon lequel le juge des motions a commis une erreur en examinant la question de la validité du point de vue du membre moyen du groupe plutôt que de celui des représentants des demandeurs. Ces derniers avaient effectué des achats d’une valeur plus élevée que ceux de l’investisseur moyen en cryptomonnaies et réclamaient donc des sommes plus importantes14. La Cour conclut que, dans le contexte de cette affaire – où la clause d’arbitrage demeurait la même quelle que soit l’ampleur ou la nature du litige –, il était approprié qu’elle examine la situation de l’investisseur moyen plutôt que celle des représentants des demandeurs. À la lumière de cette analyse, la Cour confirme la décision de première instance et refuse de prononcer le sursis du recours collectif au profit d’un arbitrage en raison de l’ordre public et de l’iniquité15.

Conséquences

Les clauses d’arbitrage des contrats types sont souvent confirmées par les tribunaux, et ce, même dans le cadre de recours collectifs. Au bout du compte, la question de savoir si une clause d’arbitrage est valide repose sur le contenu de la clause. Les tribunaux ont récemment jugé valides des clauses d’arbitrage de contrats types qui prévoyaient un ou plusieurs des éléments suivants, lesquels rendaient la procédure de résolution des différends accessible aux membres moyens du groupe : 1) un arbitrage régi par le droit local16; 2) des audiences locales ou virtuelles17; 3) des frais non prohibitifs et/ou des frais assumés par l’entreprise ayant rédigé le contrat et la clause d’arbitrage18; 4) une option de retrait donnant aux personnes le choix du mécanisme de résolution des différends19. Chaque affaire dépend des conditions énoncées dans la clause d’arbitrage et du contexte dans lequel elle est appliquée.


  1. Lochan v. Binance Holdings Limited, 2024 ONCA 784 [Lochan].
  2. Voir, par exemple : Davis v. Amazon Canada Fulfillment Services, ULC, 2023 ONSC 3665, demande d’autorisation d’appel rejetée : 2024 CanLII 74730 (CSC) [Davis]; Wasylyk v. Lyft, 2024 ONSC 664, demande d’autorisation d’appel rejetée : 2024 CanLII 85665 (CSC) [Wasylyk]; Petty v Niantic Inc., 2022 BCSC 1077 conf. par 2023 BCCA 315, demande d’autorisation d’appel rejetée : 2024 CanLII 43098 (CSC) [Petty]; Difederico c. Amazon.Com, Inc.,2022 CF 1256 conf. par 2023 FCA 165, demande d’autorisation d’appel rejetée : 2024 CanLII 43121 (CSC) [Difederico]; Williams v. Amazon.com Inc., 2020 BCSC 300 conf. par 2023 BCCA 314, demande d’autorisation d’appel rejetée : 2024 CanLII 43110 (CSC) [Williams].
  3. Lochan, par. 4.
  4. Ibid., par. 7.
  5. Ibid., par. 7.
  6. Ibid., par. 7.
  7. Ibid., par. 8.
  8. Ibid., par. 10-12.
  9. Ibid., par. 11, 13.
  10. Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, par. 19-24.
  11. Lochan, par. 23.
  12. Ibid., par. 17.
  13. Ibid., par. 23.
  14. Ibid., par. 25.
  15. Ibid., par. 25-27.
  16. Voir, par exemple : Wasylyk, par. 39, 63.
  17. Voir, par exemple : Williams, par. 86, Wasylyk, par. 41, 63.
  18. Voir, par exemple : Davis, par. 88, 113, Difederico, par. 118-119.
  19. Voir, par exemple : Wasylyk, par. 36, 76, Petty, par. 79.

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