Dans l’affaire Apotex Inc. v. Janssen Inc., 2023 FCA 220, la Cour d’appel fédérale a confirmé une conclusion de la juge de première instance voulant qu’un fabricant de médicaments génériques qui avait déposé une demande d’approbation pour une monothérapie se trouvait néanmoins à inciter à la contrefaçon d’un brevet de combinaison. La décision s’appuie sur la jurisprudence en matière d’indications brevetées et laisse entendre qu’un brevet de combinaison peut conférer au breveté un monopole élargi lorsqu’une combinaison brevetée devient la norme de soins, même si le fabricant du médicament générique a retiré l’indication en question.
Le breveté qui souhaite faire la preuve d’une contrefaçon par incitation doit démontrer que :
La monographie du produit générique est en règle générale le document qui sert à étayer l’analyse de l’incitation dans les affaires de brevets pharmaceutiques. En début d’année, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le deuxième volet du critère de l’incitation peut être rempli si le fabricant du médicament générique inscrit l’utilisation brevetée dans la liste des utilisations recommandées dans la monographie de son produit – et ce, même si l’utilisation brevetée fait partie de nombreuses autres utilisations recommandées1.
Selon les motifs de la Cour dans Apotex Inc. v. Janssen Inc., 2023 FCA 220, il est possible de conclure qu’une contrefaçon par incitation a été commise même si la monographie du produit générique ne mentionne pas l’utilisation brevetée dans ses indications. Les tribunaux interpréteront la monographie d’un produit générique du point de vue d’un médecin prescripteur ou d’un pharmacien. Lorsque l’utilisation brevetée devient la norme de soins, il ne suffit pas toujours d’exclure cette utilisation de la monographie du produit générique pour mettre son fabricant à l’abri d’une conclusion de contrefaçon. Nous vous présentons une analyse du contexte et des faits sur lesquels s’est appuyée la décision de la Cour d’appel fédérale. Nous résumons également les principaux points que devraient dorénavant surveiller les acteurs de l’industrie pharmaceutique.
Dans l’affaire Janssen Inc. v. Apotex Inc., 2022 FC 996, confirmée par 2023 FCA 220, Apotex souhaitait commercialiser une version générique du produit OPSUMIT® (macitentan) de Janssen, un médicament utilisé pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Le brevet de Janssen revendique l’utilisation du macitentan en combinaison avec un inhibiteur de la phosphodiestérase de type-5 (« PDE5 ») pour le traitement de l’HTAP.
Les rubriques Indication et Utilisation clinique de la monographie du produit d’Apotex ne contenaient aucune mention de l’utilisation du macitentan en combinaison avec un inhibiteur de la PDE5. L’indication portait sur l’utilisation clinique du macitentan seul, c’est-à-dire en monothérapie. La juge de première instance a cependant constaté que la plupart des patients atteints de HTAP qui prenaient de l’OPSUMIT sous ordonnance recevaient aussi un inhibiteur de la PDE5. Cette utilisation combinée était généralisée. La preuve a également établi que les médecins ne comparaient pas les monographies des produits de Janssen et d’Apotex dans le but d’en faire ressortir les différences. En tout état de cause, la monographie du produit d’Apotex comportait aussi des données tirées d’une étude clinique phare qui a démontré l’innocuité et l’efficacité de l’utilisation combinée du macitentan et d’un inhibiteur de la PDE5. De plus, la preuve a démontré que seul un petit nombre de médecins étaient autorisés par la réglementation provinciale à prescrire du macitentan, et que ceux-ci connaissaient forcément les résultats de l’étude.
En résumé, la juge de première instance en a conclu que la monographie du produit d’Apotex ne recommandait pas aux médecins de cesser la pratique généralisée de prescrire le médicament en combinaison (et de le prescrire plutôt en monothérapie). Compte tenu des faits en l’espèce, elle a jugé qu’en commercialisant ses produits, Apotex commettait une incitation à la contrefaçon du brevet de Janssen2.
La Cour d’appel fédérale a confirmé cette conclusion. Elle a rejetté l’argument d’Apotex, qui soutenait que pour satisfaire au deuxième volet du critère, il fallait obligatoirement prouver l’existence d’une instruction spécifique dans la monographie et d’une intention explicite. La Cour a jugé que même en l’absence de toute mention explicite d’un traitement en combinaison comme indication, la juge de première instance avait raison de conclure que la monographie d’Apotex pouvait inciter à l’utilisation du macitentan en combinaison avec un inhibiteur de la PDE5.
La Cour a confirmé également qu’un juge de première instance peut tirer des conclusions concernant la connaissance qu’avait le fabricant de l’incitation que constituait son produit générique. Apotex savait qu’elle tentait d’obtenir l’approbation d’un produit de substitution d’un produit auquel avaient accès les médecins qui traitaient déjà la HTAP au moyen d’une thérapie de combinaison. Compte tenu de la preuve, la juge de première instance a conclu à bon droit qu’Apotex savait, ou aurait dû savoir, que la monographie de son produit allait influencer les décisions de prescription des médecins. C’était suffisant pour satisfaire au troisième volet du critère de l’incitation à la contrefaçon.
Cette décision affirme que, pour avoir gain de cause dans une affaire d’indications brevetées, un fabricant de produits génériques pourrait devoir composer avec les pratiques de prescription établies, qui sont influencées non seulement par la monographie du breveté, mais aussi par la réalité de son marché. Certains pourraient dire qu’il s’agit d’un cas de brevet de combinaison appliqué au sens large à d’autres utilisations non brevetées, mais c’est la nature même du droit en matière d’incitation.
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