Auteures
Eve-Lyne Morin
L’année 2021 aura été importante pour la protection des données personnelles au Québec.
À l’issue d’un long processus législatif, l’Assemblée nationale du Québec a adopté une nouvelle loi sur la protection des renseignements personnels, intitulée Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels. Connue sous le nom de projet de loi 64, cette loi met à jour et modernise la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (la Loi sur le secteur privé), ainsi que la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
Le 3 décembre, le législateur québécois a également présenté un nouveau projet de loi visant à moderniser le cadre juridique applicable aux données sur les soins de santé et les services sociaux, soit la Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et d’autres dispositions législatives. La même journée, Québec a adopté un projet de loi créant le ministère de la Cybersécurité et du Numérique, le premier ministère de ce genre en Amérique du Nord, dont le portefeuille comprendra la technologie numérique, les services électroniques et la cybersécurité.
Les tribunaux québécois ont également été plus occupés que jamais avec des litiges résultant de violations de la sécurité dans divers contextes, dont des cyberattaques, la perte d’appareils et d’autres types de vol de données personnelles et ont rendu quelques décisions importantes dans le cadre d’actions collectives intentées en cette matière.
Le présent article fournit un aperçu des récents développements jurisprudentiels en matière de protection des renseignements personnels et offre aux organisations des conseils pratiques pour protéger adéquatement les données personnelles et répondre aux incidents de sécurité à la lumière des nouvelles exigences énoncées dans la nouvelle version de la Loi sur le secteur privé.
Dans la récente affaire Thiel c. Facebook, la Cour supérieure a autorisé une action collective contre le géant de la technologie qui aurait permis à des tiers d’accéder aux données personnelles de ses utilisateurs sans avoir obtenu leur consentement éclairé, en contravention de la Charte des droits et libertés de la personne, du Code civil du Québec et des dispositions de la Loi sur la protection du consommateur. Il était allégué que Facebook avait conclu des partenariats de partage de données avec au moins 60 fabricants d’appareils, dont Apple, Amazon, BlackBerry, Microsoft et Samsung.
Les demandeurs affirmaient que non seulement les membres du groupe n’avaient pas consenti aux pratiques contestées de partage de données avec des tiers, mais qu’ils n’avaient pas pu le faire, puisque Facebook ne les avait pas informés de ces pratiques. Ils n’étaient donc pas au courant de ces pratiques, qui n’étaient pas autorisées par la loi.
Compte tenu des difficultés à établir un fondement pour une demande de dommages-intérêts compensatoires, les demandeurs ne cherchaient à obtenir que des dommages-intérêts punitifs dont le montant serait déterminé par le tribunal en fonction de la preuve présentée au procès.
En l’espèce, la cour a jugé que même s’il n’était pas possible pour les demandeurs de déterminer objectivement quelles données d’utilisateur avaient été partagées de façon inappropriée, les allégations factuelles étaient suffisantes pour démontrer une atteinte potentiellement importante au droit à la protection des renseignements personnels, ce qui justifiait l’octroi de dommages-intérêts punitifs.
Même si les tribunaux québécois ont toujours reconnu la possibilité d’accorder seulement des dommages-intérêts punitifs, le projet de loi 64 permet maintenant d’octroyer des dommages-intérêts punitifs d’au moins 1 000 $ dans le cas d’une atteinte intentionnelle ou résultant d’une faute lourde à un droit protégé en vertu de la Loi sur le secteur privé et des articles 35 à 40 du Code civil du Québec. Pour se conformer à leurs obligations, les organisations qui recueillent des renseignements personnels devront informer les personnes concernées des « noms des tiers » à qui les renseignements pourraient être communiqués au moment de la collecte.
Dans la même lignée, la Cour d’appel du Québec a autorisé un appel en partie et a rétabli une demande d’action collective réclamant des dommages-intérêts punitifs après un incident de cybersécurité où trois dirigeants de Nissan Canada avaient reçu un courriel menaçant d’utiliser les renseignements personnels de leurs clients à des fins illicites s’ils refusaient de payer une rançon en bitcoins.
Bien que le juge de première instance ait rejeté cette demande à l’étape de l’autorisation, la Cour d’appel a jugé que le délai d’un mois qui s’est passé entre le moment où la menace avait été reçue et le moment où les clients de Nissan avaient été informés pourrait suffire à justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Nissan a allégué qu’elle avait mené une enquête interne de l’incident avant d’informer ses clients et il reste à voir si cela sera suffisant pour justifier son retard à informer les clients.
Alors que l’ancienne Loi sur le secteur privé n’établissait pas d’obligation légale de signaler les violations de données personnelles, sa nouvelle mouture établit de nouvelles exigences de signalement des incidents de confidentialité qui entreront en vigueur en septembre 2022. Aucun délai précis n’accompagne cette nouvelle exigence. Les organisations devront signaler rapidement les incidents de confidentialité susceptibles de causer un préjudice grave à la Commission d’accès à l’information du Québec et à toutes les personnes touchées.
La première affaire canadienne d’atteinte aux données à être jugée sur le fond a été instruite en 2021 au Québec. Il s’agissait d’une action collective intentée après qu’un inspecteur de l’Organisme canadien de réglementation des valeurs mobilières (OCRCVM) ait perdu son ordinateur portable dans un train. L’appareil contenait les données personnelles de clients de courtiers en valeurs mobilières qui avaient été recueillies dans le cadre d’inspections menées par l’OCRCVM auprès de ces courtiers; malgré les efforts de l’organisme, l’ordinateur n’a jamais été retrouvé.
Suivant les principales décisions rendues en cette matière, la Cour supérieure a confirmé qu’il n’était pas nécessaire que les données personnelles des membres du groupe aient été utilisées de façon illicite, pourvu que ceux-ci puissent prouver des dommages compensatoires. Toutefois, sur ce point, la cour a rappelé que de simples craintes, angoisses et inquiétudes ressenties par les personnes touchées en lien avec la perte de leurs renseignements personnels étaient des inconvénients normaux auxquels toute personne vivant en société est confrontée et qu’elle devrait être obligée à accepter.
En ce qui concerne les dommages-intérêts punitifs, la cour a conclu que la faute non intentionnelle de la défenderesse ne justifiait pas de la condamner à ceux-ci, puisqu’elle avait réagi de façon diligente, rapidement et conformément aux normes attendues dans une telle situation. La preuve a montré que la défenderesse avait mené des enquêtes et des vérifications internes, a rapidement informé les autorités, a engagé une firme de services-conseils pour effectuer une expertise et une enquête informatiques, a élaboré une stratégie de gestion des risques liés à la protection des renseignements personnels et a avisé les commissariats à la protection de la vie privée fédéral et provincial, ainsi que les courtiers et les membres du groupe. L’organisme avait également fourni aux investisseurs toutes les mesures requises de surveillance et de protection par des agences de surveillance du crédit.
Le projet de loi 64 exige que toute personne ayant des motifs de croire qu’il s’est produit un incident de confidentialité doit prendre des mesures raisonnables pour diminuer les risques de préjudice et éviter de nouveaux incidents. Bien qu’elle ne précise pas encore la nature de ces « mesures raisonnables », l’affaire OCRCVM fournit certainement des conseils utiles pour aider les organisations à intervenir de manière adéquate en cas d’incident semblable.
Les actions collectives au Canada : à venir en 2022
Lisez notre résumé en français ici.
Vous pouvez lire le rapport complet sur les tendances en litige de 2021 en anglais ici.
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