COVID-19 : responsabilité éventuelle des administrateurs et des dirigeants des sociétés insolvables
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La pandémie de COVID-19 comporte des défis uniques, tant pour les entreprises en général, que pour leurs administrateurs et leurs dirigeants à titre personnel. Certaines entreprises voient se profiler la menace imminente et imprévue de l’insolvabilité en cette période d’activités restreintes et de tarissement des liquidités, en raison d’une baisse importante des revenus (causée notamment par la chute des ventes et par le recouvrement problématique des créances) et d’une hausse des coûts (comme ceux liés à la transition vers le télétravail, au maintien de la sécurité des employés et du fonctionnement des lieux de travail, et à la rationalisation).
La pression exercée sur les administrateurs et les dirigeants est double, puisqu’ils doivent composer a) avec l’importance accrue accordée à l’exécution de leurs obligations fiduciaires et la perspective de la surveillance plus stricte des décisions prises aujourd’hui – y compris, avec le recul, à une date ultérieure; et b) avec leur responsabilité personnelle éventuelle à l’égard de certaines obligations de l’entreprise. Les administrateurs et les dirigeants des organismes sans but lucratif doivent être conscients qu’ils font face à des considérations et à des risques similaires.
Voici quelques questions incontournables pour les administrateurs et les dirigeants en cette période d’agitation que nous traversons actuellement.
Questions liées à la responsabilité
L’insolvabilité suscite des préoccupations particulières pour les administrateurs et les dirigeants à plusieurs égards : a) il existe un risque accru en matière de responsabilité personnelle dans de telles circonstances, notamment en raison de devoirs ou d’obligations supplémentaires découlant de la législation applicable en matière d’insolvabilité; b) certaines protections habituellement accordées aux administrateurs et aux dirigeants – telles que l’indemnisation offerte par l’organisation – ne sont guère utiles ou rassurantes si la société est insolvable; et c) les pertes financières subies par les créanciers et les actionnaires de la société, ainsi que le processus judiciaire public qui accompagne la procédure officielle d’insolvabilité, font que la conduite et les activités des administrateurs et des dirigeants avant et pendant l’insolvabilité font l’objet d’un examen beaucoup plus minutieux, souvent de façon rétrospective.
En cas d’insolvabilité, les administrateurs et les dirigeants peuvent faire l’objet de certaines poursuites engageant leur responsabilité personnelle pour divers types de réclamation (qui sont différents d’un territoire à l’autre):
- les réclamations des employés relativement à leur emploi – par exemple, les salaires et les indemnités de vacances impayés et, dans certains territoires, les indemnités de départ et de cessation d’emploi non versées;
- les réclamations de la société (et des syndics en matière de faillite) à l’encontre des administrateurs qui, par vote ou par acquiescement, ont approuvé le paiement de dividendes ou le rachat d’actions alors que la société était insolvable ou l’est devenue à la suite de l’opération, et que les administrateurs n’avaient pas de motifs raisonnables de croire que l’opération ne mènerait pas à l’insolvabilité;
- les réclamations des entités gouvernementales pour défaut de déduire, de remettre et de payer certains impôts et diverses retenues à la source (p. ex. les montants déduits du salaire des employés au titre de l’épargne-retraite, de l’assurance chômage et de l’impôt sur le revenu);
- les réclamations relatives à des obligations en matière de prestations de retraite à verser;
- les réclamations relatives à des obligations environnementales;
- les réclamations relatives à une infraction par une personne morale aux lois sur la faillite et l’insolvabilité, lorsqu’un administrateur a ordonné, autorisé, sanctionné, acquiescé ou participé à la commission de l’infraction.
En outre, les administrateurs et les dirigeants peuvent être tenus personnellement responsables si la société exerce ses activités alors qu’elle est insolvable. Ainsi, les administrateurs et les dirigeants doivent veiller à ce que la société n’exerce ses activités que si elle peut acquitter ses obligations au fur et à mesure de leur échéance et si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que toute obligation nouvellement contractée sera acquittée. Cela peut s’avérer particulièrement difficile au cœur de la pandémie de COVID-19 compte tenu de la grande incertitude qui persiste.
Les administrateurs et les dirigeants d’entreprises insolvables sont également exposés à des risques accrus en raison de leurs obligations de loyauté et de diligence. Bien qu’ils n’aient pas d’obligation fiduciaire envers les créanciers, ils doivent tenir compte des intérêts de ceux-ci, ainsi que des intérêts des actionnaires et des autres parties prenantes. Toutefois, dans ces circonstances, les intérêts des différentes parties prenantes sont parfois conflictuels; les administrateurs et les dirigeants sont confrontés à la difficulté de concilier des intérêts concurrents sans pouvoir compter sur des critères définitifs pour orienter leurs décisions.
En outre, les administrateurs et les dirigeants des sociétés ouvertes sont susceptibles de devoir prendre des décisions difficiles concernant la communication occasionnelle de toute information importante dans le contexte d’une insolvabilité possible et des répercussions de la pandémie de COVID-19 sur leurs activités.
Mesures à prendre
Les administrateurs et les dirigeants de sociétés en difficulté financière doivent prendre des mesures pour se protéger davantage, notamment en sollicitant un avis juridique en temps opportun. En règle générale, il faut prendre les mesures nécessitant des changements dans la conduite financière de la société bien avant que ses difficultés financières s’accentuent, car les changements effectués alors que la société est insolvable, ou à la veille de le devenir, peuvent faire l’objet d’une révision ou d’une annulation plus tard.
Il est fort possible qu’il s’avère nécessaire de prendre les mesures requises encore plus rapidement en cette période de pandémie. En plus de faire preuve de prudence et de diligence dans toutes leurs décisions, les administrateurs peuvent envisager certaines mesures spéciales, notamment les suivantes :
- revoir et améliorer les systèmes et protocoles de gouvernance de la société, et s’assurer que les registres de procès-verbaux et les autres registres de la société sont à jour et bien tenus;
- veiller au bon fonctionnement des systèmes d’information financière et de paiement de la société et s’assurer que les administrateurs reçoivent les rapports très rapidement afin qu’ils puissent exercer la surveillance en temps réel des principales données financières;
- veiller à ce que la direction obtienne les directives, les outils et les pouvoirs requis pour relever les défis touchant la société, notamment en sollicitant une expertise ou des ressources aux compétences diverses, si nécessaire, pour surmonter les difficultés financières;
- faire un usage optimal du temps et des ressources / liquidités disponibles, y compris pour amorcer une restructuration, un refinancement, une restructuration du capital et d’autres initiatives stratégiques en temps utile (même si ce n’est que pour des impondérables);
- augmenter la fréquence des réunions du conseil d’administration et améliorer les rapports présentés par la direction au conseil;
- revoir les plans d’urgence et les systèmes favorisant la continuité des activités à distance – il faut accorder une attention particulière à la sécurité et à la confidentialité pour garantir l’intégrité des systèmes pendant la pandémie;
- s’assurer que des comptes fiduciaires distincts et des procédures de remise aient été mis en place afin de pourvoir au traitement adéquat des salaires, des impôts, des retenues à la source et des autres obligations légales et fiduciaires;
- veiller à ce que toutes les dissidences des administrateurs concernant les résolutions du conseil d’administration soient notées dans le procès-verbal de la réunion;
- créer un équilibre entre les besoins de liquidités à court terme et les enjeux de viabilité à long terme – en particulier, le fait de contracter un prêt supplémentaire important peut permettre de répondre à un besoin de liquidités immédiat, mais cette créance peut menacer la viabilité à long terme si la société n’a pas les moyens de gérer un endettement supérieur;
- obtenir des conseils professionnels appropriés, notamment des avis juridiques, et se préparer à l’éventualité d’une faillite ou d’une insolvabilité en vertu de la législation applicable;
- s’acquitter soigneusement de toutes les obligations d’information et éviter les allégations éventuelles de déclaration inexacte, notamment en ce qui concerne l’incidence de la COVID-19 sur les activités de la société;
- examiner l’étendue de la couverture de l’assurance responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants et donner avis, au titre de cette assurance, de toute réclamation éventuelle, et veiller à l’obtention d’une couverture appropriée (y compris une assurance en cas de liquidation);
- vérifier que la société a conclu une convention d’indemnisation avec chaque administrateur, comme le permettent les statuts et la loi d’application – il faut toutefois garder à l’esprit que, en cas d’insolvabilité, une telle indemnisation peut s’avérer limitée ou inutile;
- le cas échéant, grever les actifs non grevés de la société, ou obtenir des garanties ou des indemnités de tiers, à titre de caution pour le paiement des montants dont les administrateurs peuvent être responsables; et
- si cela est nécessaire dans des circonstances extrêmes, démissionner.
Parfois, les administrateurs et les dirigeants doivent envisager de faire appel à un conseiller juridique indépendant pour les conseiller sur la manière de se protéger en ce qui concerne leur responsabilité personnelle.
Dans de nombreux cas, il existe des « zones sûres » pour les administrateurs et les dirigeants, y compris au titre de moyens de défense fondés sur la diligence raisonnable et sur la déférence envers les décisions commerciales éclairées. En tenant compte des questions exposées dans ce bulletin et en sollicitant des conseils juridiques en temps utile, les administrateurs et les dirigeants peuvent se prévaloir de ces « zones sûres » et atténuer les risques auxquels ils sont exposés.