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La Cour fédérale rejette les demandes du ministre du Revenu national concernant des personnes non désignées

Le 29 mai 2025, la Cour fédérale a publié ses décisions dans l’affaire Ministre du Revenu national c. Shopify Inc. qui examinent les circonstances dans lesquelles un tribunal ordonnera à des tiers de fournir de l’information sur des personnes non désignées nommément au ministre du Revenu national (le Ministre)1. Ces types d’ordonnances sont appelées « demandes péremptoires visant des personnes non désignées nommément » (Demandes péremptoires).

Ce que vous devez savoir

  • Une Demande péremptoire doit viser un groupe identifiable : Une Demande péremptoire ne sera accordée que si elle identifie avec suffisamment de précision le groupe de personnes qu’elle vise. Le tribunal n’autorisera pas une Demande péremptoire en l’absence d’un groupe identifiable.
  • Une Demande péremptoire ne peut être utilisée pour aider des autorités fiscales étrangères : Le tribunal n’autorisera pas une Demande péremptoire si elle a pour objet d’aider des autorités fiscales étrangères en vertu d’accords internationaux.
  • Facteurs discrétionnaires : Pour décider si une Demande péremptoire doit être accordée, le tribunal peut prendre en compte la disponibilité des renseignements ainsi que la faisabilité et la proportionnalité de la demande. La protection des renseignements personnels et les coûts engagés pour répondre à une demande pourraient ne pas être pris en compte.

Contexte législatif

La Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi de l’impôt) permet au Ministre d’obtenir de l’information sur les contribuables à des fins de vérification. En plus de demander de l’information directement aux contribuables, le Ministre peut adresser des demandes d’information à des tiers. Les tiers peuvent faire l’objet de deux types de demandes :

  1. les demandes concernant des personnes désignées nommément, qui visent des personnes précises;
  2. les Demandes péremptoires, qui visent des personnes précises mais non désignées.

Les demandes concernant des personnes désignées peuvent être faites à des fins d’assistance aux autorités fiscales étrangères dans le cadre de traités sur l’échange de renseignements, comme la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (la Convention) et ne requièrent pas d’autorisation judiciaire.

En revanche, les Demandes péremptoires nécessitent une autorisation judiciaire. En vertu du paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt, le tribunal peut autoriser une Demande péremptoire si les conditions suivantes sont remplies :

  1. il existe un groupe identifiable de personnes dont les renseignements sont demandés;
  2. la demande est faite pour vérifier si la personne ou les personnes du groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la Loi de l’impôt.

Le tribunal a le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser une Demande péremptoire ou d’imposer toute condition qu’il juge appropriée, même si ces exigences sont satisfaites.

Avant les décisions Shopify, il n’était pas clair si une Demande péremptoire pouvait être utilisée pour aider des autorités fiscales étrangères.

Contexte

Dans l’affaire Shopify, le Ministre a demandé à la Cour fédérale d’autoriser deux Demandes péremptoires.

La première Demande péremptoire concernait des renseignements sur les commerçants Shopify ayant indiqué une adresse canadienne lors de leur inscription à Shopify et ayant vendu ou loué des produits ou des services par l’intermédiaire de Shopify (la Demande péremptoire nationale). Elle concernait également des renseignements de « propriétaires Shopify », que le Ministre définissait comme des personnes liées aux comptes Shopify (employés, mandataires, etc.).

La deuxième Demande péremptoire concernait des renseignements sur les commerçants Shopify ayant des clients avec des adresses de facturation australiennes (la Demande péremptoire internationale). L’Australian Taxation Office a demandé au Ministre d’obtenir ces renseignements en vertu de la Convention.

La Demande péremptoire nationale

La Cour a refusé d’autoriser la Demande péremptoire nationale parce qu’elle ne visait pas un groupe de personnes identifiable.

Notant que le seuil pour établir un groupe de personnes identifiable est faible mais pas inexistant, la Cour a jugé que la Demande péremptoire doit viser un groupe pouvant être identifié avec « suffisamment de précision ». Une Demande péremptoire ne sera pas autorisée si le tiers ne peut pas s’y conformer ou ne sait pas quels sont les renseignements demandés et quelles sont les personnes visées.

La Demande péremptoire nationale ne visait pas un groupe identifiable. Elle indiquait qu’elle visait les commerçants de Shopify ayant indiqué une adresse canadienne lors de leur inscription à Shopify. Cependant, on y demandait aussi des renseignements de « propriétaires Shopify », qui est un groupe beaucoup plus large comprenant des personnes « liées » aux comptes.

Selon la Cour, ce manque de cohérence rendait la Demande péremptoire nationale inapplicable. Shopify pourrait être sanctionnée si elle ne fournit des renseignements que sur les commerçants Shopify. En même temps, si elle fournit des renseignements sur les propriétaires Shopify alors que le Ministre ne visait que les commerçants, elle pourrait manquer à ses obligations contractuelles.

Dans ce contexte, la Cour a expliqué que bien que le Ministre n’ait pas l’obligation de consulter des tiers, ce problème aurait pu être évité s’il avait choisi de « collaborer en toute bonne foi » avec Shopify à l’avance.

La Demande péremptoire internationale

La Cour a refusé d’autoriser la Demande péremptoire internationale, estimant qu’une Demande péremptoire ne peut être utilisée pour aider des autorités fiscales étrangères. Une Demande péremptoire ne peut être utilisée que pour vérifier la conformité d’une personne à la Loi de l’impôt. La Cour a analysé le texte, le contexte et l’objet du paragraphe 231.2(3).

Selon elle, le texte de l’article 231.2(3) est clair et inéquivoque. Une Demande péremptoire ne peut être obtenue que pour vérifier la conformité à la Loi de l’impôt. Cette interprétation est conforme au contexte plus large du paragraphe 231.2(3); lorsque le législateur a voulu autoriser la communication d’information pour respecter les obligations découlant d’accords internationaux, il l’a fait expressément dans la Loi de l’impôt. Ainsi, le paragraphe 231.2(1) autorise le Ministre à demander des renseignements à des personnes désignées nommément aux fins de la Convention. Autoriser une Demande péremptoire pour aider des autorités fiscales étrangères irait à l’encontre de l’objectif du paragraphe 231.2(3), qui permet uniquement de mener des enquêtes d’ordre général dans certaines conditions précises.

Facteurs à prendre en compte dans l’exercice du pouvoir résiduel

Bien que la Cour n’ait pas eu besoin d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel, elle a donné des indications sur les facteurs à prendre en compte :

  • Protection des renseignements personnels : La protection des renseignements personnels n’entre généralement pas en compte. Les contribuables n’ont qu’un droit très limité à la protection de leurs renseignements personnels vis-à-vis du Ministre. Toutefois, ce facteur peut être pertinent s’il existe des preuves fiables que l’Agence du revenu du Canada n’est pas en mesure de protéger adéquatement les renseignements demandés, puisque les contribuables ont un droit à la protection de leurs renseignements personnels vis-à-vis du public.
  • Dépenses engagées par le tiers : Les dépenses engagées par un tiers pour répondre à une Demande péremptoire pourraient ne pas être pertinentes. Il s’agit de coûts assumés dans le cours normal des activités qui font partie de l’obligation civique du tiers.
  • Faisabilité et proportionnalité : La facilité avec laquelle les renseignements peuvent être obtenus et la proportionnalité de la demande sont des facteurs pertinents. Ainsi, le tribunal pourrait accorder plus de temps pour répondre à une Demande péremptoire s’il n’est pas possible de respecter le délai fixé par le Ministre ou réduire la portée de la demande si elle est disproportionnée.
  • Disponibilité des renseignements : Une Demande péremptoire doit viser des renseignements disponibles. Le tribunal n’autorisera pas une Demande péremptoire si les renseignements qu’elle vise ne sont pas disponibles.

Cohérence avec les décisions antérieures

Le raisonnement de la Cour fédérale dans les affaires Shopify est cohérent avec les décisions antérieures :

  • Dans eBay Canada Ltd c. Ministre du Revenu national, la Cour d’appel fédérale a autorisé une Demande péremptoire en partie parce que les attentes en matière de protection de la vie privée sont faibles en ce qui a trait aux registres commerciaux utiles à la détermination de l’assujettissement à l’impôt.
  • Dans Canada (Revenu national) c. Hydro-Québec, la Cour fédérale a refusé d’autoriser une Demande péremptoire parce que le groupe était générique et sans lien avec la Loi de l’impôt et que les renseignements étaient sans lien avec la Loi de l’impôt. Il s’agissait de la première décision refusant une Demande péremptoire. Les affaires Shopify sont le deuxième et le troisième cas de refus.
  • Dans Société de fiducie Blue Bridge Inc. c. Canada (Revenu national), la Cour fédérale a rejeté la contestation d’une demande faite par le Ministre d’aider les autorités fiscales françaises, estimant notamment que la demande ne visait pas des personnes non désignées nommément.

Impact des décisions

Le Ministre a indiqué qu’il considérerait les décisions Shopify pour déterminer l’approche à adopter dans les futures Demandes péremptoires. Il pourrait notamment collaborer plus étroitement avec les tiers pour éviter des objections liées au groupe ciblé. Les tiers visés par une Demande péremptoire devraient garder à l’esprit leurs obligations contractuelles, particulièrement en ce qui concerne la confidentialité.

Ce qu’il faut retenir pour l’instant c’est que la décision à l’égard de la Demande péremptoire internationale présente un obstacle pour les futures Demandes péremptoires internationales où le contribuable n’est pas désigné nommément.


  1. 2025 CF 968 et 2025 CF 969.

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