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La Cour suprême du Canada rejette les demandes d’appel dans deux affaires importantes d’arbitrage international

La Cour suprême du Canada a rejeté les demandes d’appel dans deux affaires majeures concernant l’annulation et l’exécution de sentences arbitrales internationales rendues respectivement par les cours d’appel de l’Ontario et du Québec. 

Le 18 septembre 2025, la Cour suprême a rejeté une demande d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Vento Motorcycles, Inc. v. Mexico (Vento Motorcycles) en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles une sentence arbitrale internationale peut être annulée pour partialité de l’arbitre1. Le lendemain, la Cour a rejeté la demande d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Republic of India c. CCDM Holdings (Devas) concernant la portée des exceptions à l’immunité de l’État contre l’exécution d’une sentence arbitrale internationale en vertu de la Loi sur l’immunité des États2.

La demande d’autorisation d’appel ayant été rejetée, les décisions des cours d’appel restent en vigueur dans leurs provinces respectives et risquent de servir de source convaincante dans tout le Canada, sous réserve de déterminer si l’approche adoptée par la Cour d’appel du Québec s’appliquerait également dans les provinces de common law.

Ce que vous devez savoir

  • Même dans les cas où cela n’a pas d’incidence directe sur l’issue de l’arbitrage, la constatation qu’un arbitre unique est partial exige l’annulation d’une sentence arbitrale internationale.
  • L’accord d’un État de se soumettre à l’arbitrage constitue une renonciation explicite à l’immunité de juridiction d’un tribunal canadien en vertu de la Loi sur l’immunité des États dans le cadre d’une procédure visant à faire exécuter une sentence.
  • Un tribunal n’est pas tenu de se prononcer définitivement sur l’applicabilité de l’immunité d’État avant d’ordonner des mesures conservatoires en rapport avec l’exécution d’une sentence.
  • Un créancier judiciaire peut demander l’exécution d’une décision à l’encontre d’un État ou de l’un de ses alter ego s’il est établi que l’État ne bénéficie pas de l’immunité en vertu de la Loi sur l’immunité des États.

États-Unis Mexicains c. Vento Motorcycles, inc.

L’arbitrage

Vento Motorcycles, inc. (Vento), un fabricant de motos, a engagé une procédure d’arbitrage contre le Mexique en vertu du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), alléguant que le Mexique avait tenté d’évincer Vento du marché mexicain des motos en refusant d’accorder des droits de douane préférentiels aux motos assemblées aux États-Unis.

Le tribunal d’arbitrage était composé d’un panel de trois personnes, dont un arbitre nommé par chaque partie et un troisième nommé par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Le tribunal a estimé à l’unanimité que le Mexique n’avait pas manqué à ses obligations au titre de l’ALENA et a rejeté la plainte de Vento.

Après l’annonce de la décision, Vento a appris que l’arbitre désigné par le Mexique avait communiqué avec des représentants mexicains pendant la procédure d’arbitrage au sujet de la nomination éventuelle de candidats susceptibles d’agir à titre de décideurs dans d’autres litiges. Vento a déposé une demande d’appel en Ontario (où l’arbitrage avait lieu) afin de faire annuler la sentence, notamment au motif que la conduite de l’arbitre avait donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

La Cour supérieure de justice de l’Ontario refuse d’annuler la sentence arbitrale

En première instance, la juge saisie de la demande a estimé que le comportement de l’arbitre donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. Elle a refusé d’annuler la sentence, car la partialité de l’arbitre unique n’avait pas eu d’incidence sur l’issue finale de la procédure, les deux autres arbitres (la majorité du tribunal) ayant également voté en faveur du rejet de la demande.

La Cour d’appel de l’Ontario infirme la décision de la juge de première instance

La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel interjeté par Vento contre la décision de la juge de première instance et a annulé la décision. Dans le cadre de l’appel, le Mexique n’a pas contesté la conclusion selon laquelle il existait une crainte raisonnable de partialité, mais a plutôt insisté sur la question de savoir si la juge saisie de la demande était tenue d’annuler la sentence après avoir fait cette conclusion.

Bien que les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire de confirmer une sentence arbitrale en cas de certaines irrégularités procédurales, la Cour d’appel a estimé qu’une crainte raisonnable de partialité constituait une violation si grave que la seule réparation appropriée était l’annulation de la sentence. Les tribunaux ont le pouvoir d’annuler les sentences arbitrales en vertu de l’article 34(2) de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, adoptée dans la loi ontarienne en vertu de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international3. Dans l’affaire Popack v. Lipszyc4, la Cour d’appel a établi un critère de pondération régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un tribunal d’annuler une sentence arbitrale pour violation de l’équité procédurale et de la justice naturelle, en tenant compte de la mesure dans laquelle la violation porte atteinte à l’équité et de son incidence sur la sentence elle-même. Cependant, l’affaire Popack concernait une réunion ex parte entre le tribunal et un arbitre précédent sans notification aux parties, ce que la Cour d’appel a qualifié de violation « relativement mineure » de l’équité procédurale qui « n’a manifestement pas eu d’incidence sur l’issue de l’arbitrage »5. La Cour d’appel a précisé que les violations plus graves de l’équité procédurale et de la justice naturelle, telles qu’une crainte raisonnable de partialité, ne peuvent être négligées et nécessitent l’annulation d’une sentence.

Il en va ainsi, que l’arbitre ait rendu sa décision de manière individuelle ou dans le cadre d’un panel composé de plusieurs membres, car les parties à un arbitrage ont droit à un tribunal totalement indépendant et impartial, et non à la décision d’un quorum de membres impartiaux du panel. Lorsqu’il existe une crainte raisonnable de partialité à l’égard d’un seul arbitre d’un tribunal composé de plusieurs membres, « la partialité d’un membre entache le tribunal »6. En effet, il est impossible de savoir si et comment la participation du membre partial a influencé la décision finale.

Ce faisant, la Cour d’appel a distingué les remarques incidentes de la Cour suprême dans l’affaire Bande indienne Wewaykum c. Canada7 selon lesquelles une crainte raisonnable de partialité à l’égard d’un seul juge n’entache pas le reste de la cour, ce que les cours d’appel du Manitoba, de l’Alberta et de la Saskatchewan ont approuvé dans des contextes judiciaires et non judiciaires. Dans l’affaire Wewaykum, la Cour suprême a formulé ces remarques après avoir conclu que le lien entre un juge et un appel lié à son ancien travail pour le gouvernement ne donnait pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, ce qui l’aurait disqualifié pour siéger dans le cadre de l’appel. La Cour d’appel a rejeté l’argument avancé par le Mexique dans l’affaire Vento Motorcycles, selon lequel l’affaire Wewaykum avait modifié la loi relative à la partialité des arbitres, estimant que les commentaires de la Cour suprême étaient des remarques incidentes et devaient être interprétés dans le contexte particulier du processus décisionnel de la Cour suprême.

Republic of India c. CCDM Holdings

L’arbitrage

L’affaire Devas, longue et complexe, remonte à 2005. Cette année-là, Antrix Corporation Limited (Antrix), une entreprise publique indienne spécialisée dans l’aérospatiale, a conclu un contrat avec Devas Multimedia Services (Devas), une entreprise privée indienne de télécommunications, pour la location de capacités de spectre satellitaire qui permettraient à Devas de fournir des services sans fil dans toute l’Inde. Antrix a résilié le contrat en 2011 sur instruction du ministère indien de l’Espace, invoquant un cas de force majeure.

En 2012, les actionnaires mauriciens de Devas ont engagé une procédure d’arbitrage entre investisseurs et États contre l’Inde en vertu du traité bilatéral d’investissement entre l’Inde et Maurice. Le tribunal a estimé que l’Inde avait violé le traité bilatéral d’investissement en expropriant illégalement les investissements des actionnaires dans Devas et en ne les traitant pas équitablement, et a ordonné à l’Inde de verser 111 millions de dollars américains à titre de compensation (la sentence arbitrale).

Procédures de saisie et d’exécution à la Cour supérieure du Québec

En 2021, les actionnaires de Devas ont déposé une demande visant à faire reconnaître et exécuter la sentence au Québec. Les actionnaires ont également déposé des demandes ex parte pour la saisie avant jugement des sommes de l’Autorité aéroportuaire de l’Inde (AAI) et d’Air India détenues par l’Association internationale du transport aérien (IATA), dont le siège est à Montréal, qui ont été acceptées.

AAI, Air India et l’IATA ont déposé des demandes visant à annuler les ordonnances de saisie. La Cour supérieure a annulé l’ordonnance de saisie concernant les actifs d’AAI, estimant que la question de l’immunité d’AAI en vertu de la Loi sur l’immunité des États devait d’abord être jugée sur le fond. En réponse aux ordonnances de saisie qui restaient en vigueur, le gouvernement du Québec a adopté la Loi concernant l’Association du Transport Aérien International (Loi sur l’IATA), qui prévoit que les fonds détenus par l’IATA au profit d’États étrangers sont exempts de saisie. La Cour supérieure du Québec a examiné la nouvelle législation et a estimé qu’elle rendait les sommes versées à l’IATA insaisissables après l’entrée en vigueur de la législation en mai 2022, mais a refusé de se prononcer sur la question de savoir si elle empêchait la saisie des sommes reçues antérieurement.

L’Inde a déposé une demande visant à rejeter la requête des actionnaires en reconnaissance et exécution de la sentence arbitrale en 2022, au motif qu’elle n’était pas assujettie à la compétence des tribunaux canadiens. La Cour supérieure du Québec a statué que l’Inde ne bénéficiait pas de l’immunité de juridiction en vertu des exceptions prévues par la Loi sur l’immunité des États en cas de renonciation et lorsqu’un État exerce une activité commerciale.

Appels devant la Cour d’appel du Québec

La Cour d’appel du Québec a entendu les appels interjetés contre trois décisions rendues par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Devas (la décision d’annuler la saisie initiale des actifs d’AAI, la décision concernant l’application de la Loi sur l’IATA et la décision relative à l’immunité de l’Inde).

La Cour d’appel a confirmé que l’Inde ne bénéficiait pas de l’immunité dans le cadre des procédures d’exécution. L’article 4(2)(a) de la Loi sur l’immunité des États prévoit qu’un État renonce à l’immunité lorsqu’il se soumet « de manière expresse » à la juridiction des tribunaux canadiens, « par écrit ou autrement »8. La Cour d’appel a estimé que l’Inde avait renoncé de manière expresse à son immunité en ratifiant la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, qui donne plein effet aux conventions d’arbitrage, et en signant le traité bilatéral d’investissement, qui contient une clause d’arbitrage. Le recours volontaire à l’arbitrage équivaut à une renonciation expresse à l’immunité de juridiction, car il suppose nécessairement la reconnaissance et l’exécution de toute sentence arbitrale qui en résulte.

La Cour d’appel a rétabli la saisie de l’AAI, estimant qu’un tribunal peut prononcer une saisie avant jugement avant de statuer définitivement sur les questions d’immunité afin d’éviter le risque que les actifs ne soient plus disponibles au moment où la demande d’immunité sera tranchée. La Cour d’appel a également estimé qu’il existait suffisamment de preuves pour que le juge d’autorisation conclue que l’AAI était, prima facie, un organe indissociable de l’Inde, par opposition à une « agence de l’État », qui est une entité juridique distincte en vertu de l’article 2 de la Loi sur l’immunité des États9.

Enfin, la Cour d’appel a jugé que la Loi sur l’AITA ne s’appliquait pas rétroactivement aux saisies autorisées à l’encontre des actifs de l’AAI avant l’entrée en vigueur de la législation.

Conséquences

Les affaires Vento Motorcycles et Devas fournissent des indications importantes aux créanciers et débiteurs.

Vento Motorcycles préconise une approche stricte pour remédier à la partialité des arbitres et affirme que l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’égard d’un arbitre entraînera intrinsèquement l’annulation d’une sentence, indépendamment du fait que le résultat de l’arbitrage aurait théoriquement été le même si les autres membres du tribunal avaient voté de la même manière.

Devas clarifie l’applicabilité des exceptions à l’immunité des États devant les tribunaux canadiens en vertu de la Loi sur l’immunité des États. Tout d’abord, l’accord d’un État de recourir à l’arbitrage constitue une renonciation expresse à son immunité de juridiction dans les procédures d’exécution ultérieures. Par ailleurs, l’exception à l’immunité pour activité commerciale exige une approche contextuelle élargie de la caractérisation de l’activité de l’État. Cette approche a été confirmée dans le jugement de la Cour supérieure du Québec, qui reste inchangé puisque la Cour d’appel a refusé de se prononcer sur l’exception. L’exception fondée sur les activités commerciales prévue à l’article 5 de la Loi sur l’immunité des États stipule qu’un État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens dans les procédures liées aux activités commerciales de cet État. Dans cette affaire, la Cour supérieure a estimé que l’activité de l’État en cause, à savoir « les violations par la République de l’Inde d’un traité commercial, qui découlent de l’annulation d’un contrat commercial sans compensation juste et équitable », était correctement qualifiée d’activité commerciale et que, par conséquent, l’exception relative à l’activité commerciale s’appliquait10.

Devas est également favorable aux créanciers bénéficiaires d’une sentence arbitrale dans la mesure où la Cour suprême semble avoir approuvé la position selon laquelle une saisie avant jugement peut être accordée avant que la question de l’immunité de l’État ne soit tranchée (il convient toutefois de noter que les circonstances dans lesquelles une saisie avant jugement peut être accordée peuvent différer de celles du Québec selon le lieu où le créancier cherche à faire exécuter la sentence) et en permettant d’exécuter la sentence lorsqu’il est établi que non seulement l’État lui-même, mais aussi l’un de ses alter ego, ne bénéficie pas de l’immunité. Ce dernier point est susceptible d’élargir les possibilités d’exécution des sentences arbitrales à l’encontre d’un État étranger au Canada.


  1. Vento Motorcycles, Inc. v. Mexico, 2025 ONCA 82 [Appel Vento].
  2. Republic of India c. CCDM Holdings, 2024 QCCA 1620 [Appel Devas].
  3. Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, L.O. 2017, chap. 2, Annexe 5, art. 5.
  4. Popack v. Lipszyc, 2016 ONCA 135.
  5. Appel Vento, paragr. 41.
  6. Ibid.
  7. Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45.
  8. Loi sur l’immunité des États, article 4(2)(a).
  9. Appel Devas, paragr. 180; Loi sur l’immunité des États, article 2.
  10. Jugement Devas sur l’immunité, paragr. 86 [italiques dans l’original].

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