25 mars 2024Calcul en cours...

La Cour d’appel du Québec accorde une prime à des actionnaires dissidents

La récente décision de la Cour d’appel du Québec concernant les droits des actionnaires dissidents dans l’affaire Fibrek Holding Inc. et al. v. 1600013 Ontario Ltd. et al. confirme que les données du marché constituent la meilleure indication de la valeur et que, lorsque les faits le justifient, un tribunal canadien peut accorder une prime en sus du prix de l’opération aux actionnaires dissidents dans le cadre d’une opération de fusions et d’acquisitions. Bien que l’approche générale des tribunaux ait été de limiter la juste valeur au prix de l’opération en l’absence de distorsion du marché, comme le montre la récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire 1843208 Ontario Inc. v. Baffinland Iron Mines Corporation, il peut y avoir des circonstances où une prime est justifiée, en particulier pour refléter des événements imprévus survenus entre le moment où une offre a été déposée et la date d’évaluation prévue par la loi. Les tribunaux prennent en compte tous les éléments de preuve pertinents, ce qui signifie que la détermination de la valeur se fait au cas par cas.

Ce que vous devez savoir

  • Lorsqu’ils sont amenés à déterminer la juste valeur, les tribunaux privilégient la valeur marchande par rapport aux approches d’évaluation théoriques, particulièrement lorsque des investisseurs avertis ont indiqué qu’ils acceptaient le prix de l’offre en signant des conventions de blocage fermes. Les juges ne devraient pas procéder à des « enchères hypothétiques » à cet égard.
  • En cas de délai important entre le lancement de l’offre et la date de l’évaluation à des fins de juste valeur, les tribunaux peuvent prendre en compte l’impact d’événements imprévus sur la valeur de l’action.
  • La Cour d’appel du Québec a estimé que, pour déterminer la juste valeur, l’impact des synergies de l’opération ne devait pas être ajouté séparément à une approche d’évaluation de la valeur marchande, car cet impact est déjà reflété dans la valeur marchande après l’annonce de l’opération.

Contexte

Fibrek Inc. a fait l’objet d’une offre publique d’achat non sollicitée de la part de Produits forestiers Résolu inc. au prix de 1,00 $ par action payable au comptant et/ou en actions de l’acheteur. Des conventions de blocage fermes ont été signées avec les détenteurs de 46 % des actions cibles. Un autre acquéreur potentiel (Mercer International inc.) a présenté des offres rivales soutenues par le conseil d’administration de Fibrek, d’abord à 1,30 $, puis à 1,40 $ par action, payable au comptant et/ou en actions de l’acheteur. L’entente de Mercer avec Fibrek prévoyait l’émission de bons de souscription spéciaux convertibles en actions de Fibrek, ce qui aurait eu pour effet de diluer la position des actionnaires de Fibrek assujettis à la convention de blocage. Une interdiction d’opérations sur les bons de souscription spéciaux ayant été imposée au Québec (décision confirmée lors de plusieurs procédures judiciaires), l’offre supérieure de Mercer a expiré et l’offre de Résolu a suivi son cours.

Résolu a ensuite mené une opération de fermeture au moyen d’un plan d’arrangement visant à acquérir les actions cibles qui n’ont pas été déposées en sa faveur. Les détenteurs d’environ 12 % des actions cibles ont exercé leur droit à la dissidence prévu par la Loi canadienne sur les sociétés par actions, en vertu duquel la valeur des actions devait être déterminée à la date précédant l’adoption de la résolution approuvant l’arrangement. Cependant, environ huit mois s’étaient écoulés depuis la date de l’offre initiale compte tenu de tous les événements intervenus dans le cadre de l’opération contestée. Fibrek a proposé une valeur de 0,8773 $ par action, ce qui reflétait la baisse de la valeur marchande des actions pendant cette période. Cette proposition a été rejetée et les actionnaires se sont finalement vu octroyer 1,99 $ par action par la Cour supérieure. Résolu a fait appel de cette décision.

L’appel

Dans sa décision, la Cour d’appel du Québec a noté que la détermination de la juste valeur se fait toujours au cas par cas en prenant compte de tous les éléments de preuve. Des erreurs révisables sont par conséquent peu probables dans ce contexte. Cependant, la Cour a estimé que le juge de première instance avait omis, à tort, de prendre en considération certains éléments de preuve, soulignant qu’une analyse de la valeur marchande prévaut sur une approche d’évaluation théorique.

Dans son approche, la Cour :

  • a utilisé la première offre comme point de départ, mais a ajusté ce montant pour tenir compte de la baisse du cours des actions de l’acheteur (ce dernier ayant offert ses actions en contrepartie) à la date d’évaluation prévue par la loi (soit le jour précédant l’approbation de l’arrangement par les actionnaires de Fibrek);
  • a ajouté à ce montant la valeur d’un contrat d’achat d’électricité à long terme conclu par Fibrek avec Hydro-Québec après la première offre;
  • a ensuite soustrait la valeur de certains passifs environnementaux potentiels que Résolu a décelé lors de son contrôle diligent avant la date d’évaluation.

Elle a ainsi obtenu une juste valeur de 1,593 $ par action, alors que le prix de l’offre initiale était de 1,00 $ et que le tribunal de première instance avait évalué l’action à 1,99 $. Elle a aussi confirmé les intérêts accordés par le tribunal de première instance à partir d’août 2012. Dans son évaluation, la Cour d’appel a pris en compte l’impact de certaines circonstances inhabituelles, notamment des offres multiples dans une situation hostile, l’impact de l’arbitrage sur la valeur marchande, le pourcentage élevé des actions cibles faisant l’objet d’un blocage ferme lors de l’offre initiale et le délai important entre l’offre initiale et la date d’évaluation (période au cours de laquelle divers événements ont influencé la valeur).

L’analyse de la Cour

Comme le tribunal de première instance, la Cour d’appel a accordé peu de poids aux valeurs boursières des actions cibles à la date d’évaluation, compte tenu des fluctuations importantes des cours pendant la procédure d’offre contestée et des éléments de preuve démontrant que les cours étaient déterminés en grande partie par des arbitragistes qui pariaient sur l’issue de la procédure.

En commençant son analyse par la première offre plutôt que par les offres ultérieures, la Cour d’appel a noté que la première offre avait été acceptée au moyen de conventions de blocage par un pourcentage élevé d’actionnaires cibles avertis et qu’elle avait été faite à une prime de 31 % par rapport au prix de négociation pondéré en fonction du volume sur 20 jours. Il s’agissait donc d’un bon indicateur initial de la valeur marchande. Dans ses motifs, la Cour d’appel a précisé que les conventions de blocage fermes sont des outils légitimes pour les offres publiques d’achat et que les actionnaires cibles n’ont pas d’obligations fiduciaires envers les autres actionnaires cibles, même s’ils sont à la fois actionnaires de la société acquéreuse et de la cible. En outre, le principe de l’« attente légitime », qui est fondamental dans les recours en oppression, ne s’applique pas aux recours d’actionnaires dissidents visant à déterminer la juste valeur. La Cour d’appel a également refusé d’ajouter séparément les « synergies » de l’opération à une approche d’évaluation de la valeur marchande, jugeant qu’elles étaient déjà reflétées dans la valeur marchande.

En conclusion, le raisonnement dans Fibrek a été largement motivé par la période inhabituellement longue entre le début de la procédure d’offre et la date d’évaluation prévue par la loi, au cours de laquelle certains événements ont influencé la valeur. Cette décision ne marque probablement pas un changement par rapport à l’approche habituelle des tribunaux qui utilisent la valeur de l’opération comme plafond pour fixer la valeur en présence d’un processus de vente solide et en l’absence de distorsion du marché, comme c’était le cas dans l’affaire Baffinland. Elle confirme par ailleurs que les données du marché constituent l’indication la plus solide de la valeur.

 


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