26 mai 2022Calcul en cours...

Le projet de loi no 96 vise à renforcer le français dans toutes les sphères de la société québécoise

L’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi no 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Ce projet de loi avait été introduit en mai 2021 (voir notre bulletin précédent) et a fait l’objet d’amendements lors de l’étude détaillée en commission.

Le projet de loi, qui vise à consacrer la prépondérance du français au Québec, a ainsi terminé son processus législatif dans l’année suivant son dépôt par le ministre de la Justice, procureur général du Québec et ministre responsable de la Langue française, M. Simon Jolin-Barrette. Il apporte de nouvelles exigences dans toutes les sphères de la société québécoise, de l’enseignement en passant par l’administration publique, les milieux de travail, les activités commerciales et le système judiciaire. Pour les entreprises qui exercent des activités au Québec, cela signifie de nouvelles obligations, notamment en matière d’affichage, d’emballage et de publicité commerciale (voir notre bulletin précédent), de conclusion de contrats, de service à la clientèle, de milieu de travail, de communications avec l’Administration (ce qui inclut le gouvernement et ses ministères, les organismes gouvernementaux, municipaux, scolaires et du réseau de la santé et des services sociaux) et de procédures judiciaires.

Bien que la plupart des nouvelles exigences entreront en vigueur dès que le projet de loi recevra la sanction royale, une période transitoire de trois mois, 1 an ou 3 ans est prévue dans certains cas pour permettre leur mise en œuvre ordonnée.

Ce que vous devez savoir

  • À la date de la sanction royale :
    • Commerce : L’inscription dans une autre langue que le français sur un produit, son contenant, son emballage ou un document l’accompagnant ne doit pas être accessible dans des « conditions plus favorables » que celle en français. Les catalogues, brochures, bons de commande et autres documents similaires auxquels le public a accès, peu importe le support, et les factures, reçus et quittances, doivent être rédigés en français. Ils ne peuvent être accessibles dans une autre langue qu’à condition que la version française le soit dans des « conditions au moins aussi favorables ». Le public auquel une entreprise offre des biens ou services doit pouvoir être informé et servi en français.
    • Travail : Un test strict est imposé pour démontrer que l’exigence de compétences linguistiques dans une langue autre que le français est nécessaire. Les motifs justifiant cette exigence doivent être spécifiés dans les offres d’emploi. La portée de l’obligation de communiquer avec le personnel en français est clarifiée — elle vise les contrats de travail, offres d’emplois, de mutation et de promotion, communications écrites au personnel, documents relatifs aux conditions de travail et documents de formation. Pour les documents relatifs aux conditions de travail et de formations qui n’étaient pas disponibles en français avant la date de la sanction royale, les employeurs bénéficient d’un délai d’un an pour rendre une version en français de ces documents accessible.
  • Trois mois après la date de la sanction royale :
    • Justice : Tout acte de procédure en anglais émanant d’une personne morale devra être accompagné d’une traduction en français certifiée par un traducteur agréé.
  • Un an après la date de la sanction royale :
    • Affaires : Les contrats d’adhésion doivent être rédigés en français. Ce n’est qu’après avoir eu en sa possession la version française qu’une partie peut expressément choisir d’adhérer à un contrat d’adhésion rédigé dans une autre langue (cette obligation ne s’applique pas à certains types de contrats, dont celui « utilisé dans les relations avec l’extérieur du Québec »).
    • Administration : Les contrats conclus avec l’Administration (le gouvernement et ses ministères, les organismes gouvernementaux, municipaux et scolaires et les services de santé et les services sociaux) doivent être rédigés en français seulement. Certains contrats pourront être rédigés en français et dans une autre langue (comme les contrats d’emprunt et certains contrats financiers) et d’autres uniquement dans une autre langue (par exemple les contrats avec l’extérieur du Québec). Toute communication entre une entreprise et l’Administration relativement à un permis, une subvention ou une autre autorisation ou aide financière doit se faire exclusivement en français, sauf exception.
  • Trois ans après la date de la sanction royale :
    • Affichage, emballage et publicité : Seules les marques de commerce déposées pourront être affichées uniquement dans une autre langue que le français, s’il n’existe pas de version en français au registre. Lorsqu’une marque déposée dans une autre langue que le français utilisée sur l’emballage contient un générique ou un descriptif du produit, celui-ci doit figurer en français. (Voir notre bulletin précédent à ce sujet.)
    • Travail. Nouvelles obligations de francisation pour les entreprises ayant de 25 à 49 employés.
    • Commerce : Le français devra figurer de façon « nettement prédominante » dans l’affichage de noms d’entreprises contenant des expressions tirées d’autres langues que le français qui seront affichées de manière à être visibles depuis l’extérieur d’un local.
  • Sanctions : De nouvelles sanctions administratives, pénales ou civiles sont prévues. Des mesures de protection relativement à l’usage du français en milieu de travail ont été ajoutées et des pouvoirs d’inspection accrus ont été conférés à l’Office québécois de la langue française (l’« Office »).

Champs d’application

Le projet de loi no 96 modifie considérablement les exigences linguistiques prévues à la Charte de la langue française liées à l’usage du français dans les secteurs commerciaux, scolaires, judiciaires, administratifs ainsi que dans les milieux de travail au Québec. Il modifie également la Charte des droits et libertés de la personne pour y ajouter le droit fondamental des Québécois de vivre en français selon la Charte de la langue française.

Le projet de loi invoque la clause dérogatoire afin de soustraire la Charte de la langue française aux exigences des articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et aux articles 1 à 38 de la Charte québécoise des droits et libertés, qui incluent la protection contre les fouilles abusives.

Application du projet de loi dans différentes sphères de la société

Commerce

Les obligations des entreprises d’utiliser le français seront accentuées dès que le projet de loi recevra la sanction royale.

Communications

Les clients, qu’il s’agisse ou non de consommateurs, auront des droits accrus d’être informés et servis en français. Les catalogues, brochures, bons de commande et autres documents similaires auxquels le public a accès, peu importe le support, et les factures, reçus et quittances, devront être rédigés en français. Ils ne pourront être accessibles dans une autre langue qu’à condition que la version française le soit dans des « conditions au moins aussi favorables ».

Affichage et emballage

Lorsque permise, l’inscription dans une autre langue que le français sur un produit, son contenant, son emballage ou un document l’accompagnant, en plus de ne pas pouvoir l’emporter sur la version en français, ne devra pas être accessible dans des « conditions plus favorables » que celle en français. Trois ans après la sanction royale, le français devra figurer de façon « nettement prédominante » dans l’affichage de noms d’entreprises contenant des expressions tirées d’autres langues que le français qui seront affichées de manière à être visibles depuis l’extérieur d’un local. De plus, comme mentionné dans notre récent bulletin concernant l’impact du projet de loi no 96 en matière d’emballage, d’affichage et de publicité, l’exception relative aux « marques de commerce reconnues » sera remplacée par une exception relative aux « marques de commerce déposées ». Seules les marques déposées pourront être affichées uniquement dans une autre langue que le français, à condition qu’aucune version correspondante en français ne se trouve au registre. Même dans un tel cas, si un générique ou un descriptif du produit est compris dans une marque déposée dans une autre langue, celui-ci doit figurer en français sur le produit ou sur un support qui s’y rattache de manière permanente.

Affaires

Un an après la date de la sanction royale, les contrats d’adhésion devront être rédigés en français. Sauf exception, ce n’est qu’après avoir eu en sa possession la version en français qu’une partie pourra expressément choisir d’adhérer à un contrat d’adhésion rédigé dans une autre langue. Les coûts engendrés par la traduction des contrats d’adhésion ne peuvent être exigés de l’adhérent.

Une telle mesure aura pour effet de changer la pratique actuelle d’inclure dans un contrat d’adhésion rédigé en anglais une clause bilingue stipulant que les parties avaient convenu de le rédiger en anglais uniquement.

Travail

Dès la date de la sanction royale, les droits des travailleurs d’exercer leurs activités en français sont renforcés.

Exigence de la connaissance d’une autre langue

À moins qu’une tâche ne le nécessite, il sera interdit d’exiger d’une personne qu’elle ait des connaissances dans une autre langue que le français pour pouvoir rester en poste ou y accéder. Un employeur pourra se faire accuser de pratique interdite s’il n’a pas pris des mesures raisonnables pour éviter d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français, soit : évaluer les besoins linguistiques réels de la tâche à effectuer; s’assurer que les connaissances linguistiques des autres membres étaient insuffisantes pour accomplir la tâche; et restreindre le nombre de postes qui exigent la connaissance d’une langue autre que le français. (Cette obligation de prendre des mesures raisonnables ne doit pas imposer à l’employeur une « réorganisation déraisonnable » de l’entreprise.) De plus, les motifs justifiant l’exigence de la connaissance d’une langue autre que le français devront être précisés dans les offres d’emploi.

Communications

La portée de l’obligation de communiquer en français avec le personnel est clarifiée : elle vise les contrats de travail, offres d’emplois, de mutation et de promotion, documents relatifs aux conditions de travail, documents de formation et les communications écrites au personnel. L’employeur ne peut communiquer exclusivement dans une autre langue que le français avec un travailleur qu’à la demande de ce dernier.

Pour les documents relatifs aux conditions de travail et de formation qui n’étaient pas disponibles en français avant la date de la sanction royale, les employeurs bénéficient d’un délai d’un an pour rendre une version en français accessible.

Trois ans après la sanction royale, de nouvelles obligations de francisation seront imposées aux entreprises composées de 25 personnes ou plus. Les entreprises composées de 25 à 49 personnes auront l’obligation, comme celles de 50 personnes et plus, de s’inscrire auprès de l’Office dans un délai de 6 mois et lui faire rapport quant à la situation du français.

Justice

Trois mois après la date de la sanction royale, tout acte de procédure en anglais émanant d’une personne morale devra être accompagné d’une traduction en français certifiée. Lorsque cela n’est pas fait, les greffes devront refuser le dépôt du document. Cette exigence supplémentaire pourrait mener à la prise de jugements par défaut à l’encontre des personnes morales n’ayant pas traduit leurs actes de procédure à temps.

Administration

Un an après la date de la sanction royale, les contrats conclus avec l’Administration (le gouvernement et ses ministères, les organismes gouvernementaux, municipaux et scolaires et les services de santé et les services sociaux) devront être rédigés en français exclusivement. Il sera néanmoins possible de rédiger certains contrats en français et dans une autre langue (comme les contrats d’emprunt et certains contrats financiers), de joindre une version dans une autre langue (dans le cas des ententes intergouvernementales canadiennes, des ententes internationales et des ententes avec une personne physique qui ne réside pas au Québec) et de rédiger certains autres contrats uniquement dans une autre langue (par exemple les contrats avec l’extérieur du Québec). Dans le dernier cas, une version en français doit être disponible au personnel de l’Administration. Toute communication entre une entreprise et l’Administration relativement à un permis, une subvention ou une autre autorisation ou aide financière doit se faire exclusivement en français, sauf exception. Toute entreprise offrant des services à l’Administration sera tenue de les offrir en français.

Sanctions

De nouvelles sanctions administratives, pénales ou civiles et de nouvelles mesures de protection relativement à l’usage du français en milieu de travail seront mises en place. L’Office aura des pouvoirs accrus, notamment en matière d’inspection.

Sanctions civiles, administratives et pénales

Les dispositions d’un contrat contrevenant à la Charte de la langue française telle que modifiée par le projet de loi no 96 pourront être frappées de nullité, ou les obligations qui en découlent être réduites, en cas de préjudice. Dans le cas des contrats d’adhésion, l’existence d’un préjudice est présumée. Toute clause externe en anglais à laquelle un contrat d’adhésion réfère sans que l’adhérent ait reçu la version du contrat en français et ensuite accepté de conclure le contrat dans une autre langue sera considérée comme nulle et incompréhensible.

Si une entreprise ne respecte pas les dispositions de la Charte de la langue française, il est possible que certaines autorisations gouvernementales lui soient retirées ou ne lui soient pas accordées.

De plus, les sanctions pénales seront revues à la hausse, le montant des amendes sera de 700 $ à 7 000 $ pour les particuliers et de 3 000 $ à 30 000 $ pour les personnes morales. Ces montants peuvent être doublés en cas de récidive et même triplés pour toute atteinte subséquente. De plus, lorsque l’infraction se poursuit, les nouvelles dispositions prévoient que pour chaque jour durant lequel l’infraction se poursuit, une infraction distincte est commise.

Nouvelles mesures de protection en milieu de travail

Les employés dénonçant un manquement relativement à l’usage du français en milieu de travail bénéficieront de nouvelles mesures de protection. Les représailles contre toute personne ayant fait une dénonciation à l’Office sont proscrites. Le congédiement, le déplacement, toute sanction disciplinaire, toute mesure touchant les conditions de travail ou l’emploi du travailleur postérieur à une dénonciation par le travailleur ou sa collaboration à une enquête de l’Office sont présumés être des représailles.

Pouvoirs d’inspection

Le pouvoir d’inspection de l’Office dans le cadre d’enquêtes relatives aux infractions à la Charte de la langue française est accru, l’inspecteur nommé par l’Office pouvant sans préavis pénétrer à toute heure raisonnable sur les prémisses de tout lieu où des documents auxquels la Charte s’applique pourraient se trouver, à l’exception d’une maison d’habitation. Dans le cadre de sa visite, l’inspecteur peut prendre des photos, demander d’avoir accès à tout matériel incluant les ordinateurs, copier et imprimer les données pertinentes contenues dans les appareils électroniques et exiger la transmission de tout renseignement ou document relatif à l’application de la Charte.

Prochaines étapes

Certaines des nouvelles obligations entreront en vigueur lorsque le projet de loi aura reçu la sanction royale, alors que d’autres entreront en vigueur graduellement au cours des trois prochaines années. Les entreprises ayant des activités aux Québec devraient examiner leur situation afin de prendre les mesures requises, le cas échéant, afin de s’assurer de leur conformité avec la Charte de la langue française telle que modifiée. Des modifications réglementaires sont également à prévoir, de même que des directives quant à l’interprétation par l’Office des nouvelles dispositions.


Si vous souhaitez discuter ces enjeux et ces questions, veuillez contacter les auteurs.

Cette publication se veut une discussion générale concernant certains développements juridiques ou de nature connexe et ne doit pas être interprétée comme étant un conseil juridique. Si vous avez besoin de conseils juridiques, c'est avec plaisir que nous discuterons les questions soulevées dans cette communication avec vous, dans le cadre de votre situation particulière.

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