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Il est généralement considéré que l’économie fonctionne par cycles de 7 ans et que les insolvabilités connaissent des périodes d’expansion de 3 ans et demi, suivies par des périodes de contraction de 3 ans et demi
L’avènement d’une intervention gouvernementale sans précédent dans les cycles économiques visant à soutenir les périodes d’expansion et à réduire les effets des périodes de contraction a perturbé le concept d’un cycle économique prévisible de 7 ans. À cause de la pandémie et des multiples distorsions qu’elle a engendrées dans les marchés depuis 2020, toute prétention de prévisions économiques fiables s’est envolée en fumée. Peu de prédictions faites dans les dernières années se sont avérées, et cela comprend celles concernant une hausse des cas d’insolvabilité causée par la COVID-19. Ainsi, une mesure répandue d’insolvabilité des entreprises est le nombre de déclarations d’insolvabilité en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). En 2019, il y a eu 38 déclarations en vertu de la LACC, en 2020 – alors que la pandémie commençait – il y en a eu 60, et puis... seulement 26 en 2021. Dans une année où tout le monde s’attendait à ce que l’incidence continue de la pandémie augmente de manière significative le nombre d’insolvabilités et de faillites, la catastrophe n’a pas eu lieu. Au contraire, les insolvabilités d’entreprise étaient à leurs plus bas niveaux historiques.
Dans un monde où le statu quo semble être caractérisé seulement par l’absence d’un statu quo, à quoi pouvons-nous nous attendre en 2022? Voici cinq observations.
Ne vous y trompez pas, l’économie actuelle est une création artificielle, le résultat d’un amalgame de vastes interventions gouvernementales et de mesures de prévention sans précédent prises par les contreparties. Nos dirigeants politiques et commerciaux ont pris la décision concertée de prendre des mesures extraordinaires pour stopper ou du moins réduire les conséquences économiques négatives qui auraient dû se manifester. L’ajustement économique général qui aurait dû se produire... n’a pas eu lieu. À court terme, cela a surtout eu des effets positifs. Toutefois, compte tenu des facteurs économiques importants à l’œuvre, nous observons maintenant les conséquences : une inflation, une possible stagflation, une probable hausse des taux d’intérêt en 2022 et une pénurie de main-d’œuvre ne sont que quelques-uns des résultats douloureux causés ou exacerbés par les politiques fiscales et monétaires et les décisions d’affaires des deux dernières années.
Même si le Canada a retardé un ajustement et a possiblement diminué son ampleur, il est presque certain que nous ne pouvons pas l’empêcher entièrement de se produire. Les experts font deux constats.
D’abord, les perturbations en cours prennent du temps à avoir un effet. Certaines crises arrivent d’un coup (telles que les effondrements des marchés), alors que d’autres évoluent plus lentement, comme ça a été le cas avec cet ajustement potentiel. On s’attend à ce que le taux des insolvabilités reste bas pendant la première moitié de 2022, et que l’ajustement commence à se manifester vers le milieu de l’année pour prendre de l’ampleur en 2023.
Ensuite, les facteurs économiques tels que l’inflation et la perturbation des marchés de l’emploi ont besoin de beaucoup de temps pour s’ajuster. Il n’existe pas de solution rapide ou facile et la solution elle-même peut faire mal (telle qu’une hausse des taux d’intérêt). Lorsque l’ajustement se produira, on devra probablement attendre longtemps avant que tous ses effets ne se ressentent.
Selon CNN, Ikea a récemment annoncé qu’elle ne pouvait plus éviter de faire passer les augmentations de prix à ses clients et qu’elle comptait augmenter l’ensemble de ses prix de 9 % en 2022. Ikea est loin d’être la seule compagnie dans cette situation. Les perturbations de l’approvisionnement, les pénuries de matériaux et de main-d’œuvre, la hausse des coûts d’énergie et d’autres facteurs ne peuvent simplement plus être ignorés. Dans tous les secteurs de l’économie, les entreprises paient davantage pour les intrants et augmentent les prix de leurs extrants. Si, dernièrement, il vous est arrivé d’aller à l’épicerie, de mener des rénovations, d’essayer d’acheter une voiture ou de remplacer un électroménager, de faire le plein, d’acheter une maison ou d’entreprendre une quelconque autre activité économique, vous avez sans doute remarqué que les prix ont augmenté. Il continuera à en être ainsi en 2022 et cela aura des conséquences.
Ces hausses de prix ont deux particularités. La première est qu’elles se manifestent dans tous les secteurs économiques. Il ne s’agit pas d’un phénomène propre à une industrie, tel qu’une hausse des prix de l’immobilier alors que le reste de l’économie demeure stable. Selon un récent rapport de la CNBC, même les coûts des soins de santé aux États-Unis ont augmenté de 8,4 % en 2020. La deuxième est que les prix ont augmenté de manière significative et, dans plusieurs cas, à un taux à deux chiffres. Les légères hausses de prix sont évidemment plus faciles à absorber, alors que l’effet de hausses importantes et soudaines se ressent beaucoup plus. L’inflation devrait continuer à monter en 2022, ce qui sera inévitablement accompagné d’une hausse des insolvabilités, puisque les entreprises et les consommateurs ne pourront plus supporter l’incidence de celle-ci sur leurs modèles d’affaires et leurs portefeuilles.
Depuis des années, les spécialistes tentent en vain de prédire le moment où les taux d’intérêt monteront; ils échouent tout aussi souvent que ceux qui maintiennent que les prix des maisons ne puissent monter indéfiniment. Les deux camps attendent depuis des années le moment où ils pourront enfin s’écrier : « Nous vous l’avions dit! ». Nous avons vécu une période sans précédent de taux d’intérêt manipulés, décroissants (et même négatifs) et cette période a perduré plus longtemps que beaucoup d’experts croyaient possible. Toutefois, cela ne peut pas continuer de façon permanente et les taux d’intérêt artificiellement bas seront probablement bientôt une chose du passé. Pendant que l’inflation était maîtrisée, il était possible de maintenir des taux d’intérêt faibles. Maintenant que l’inflation est plus importante, la hausse des taux d’intérêt ne peut plus être très loin.
Il est difficile d’expliquer les forces motrices derrière l’inflation que nous observons actuellement, qui ne se résument pas simplement au refroidissement d’un marché surchauffé comme ça a été le cas dans plusieurs des hausses des taux d’intérêt dans le passé. Il ne s’agit pas simplement de dépenses incontrôlées (c.-à-d. une inflation par excès de demande), mais aussi de perturbations de l’offre et de la production (c.-à-d. une inflation par les coûts). Les optimistes s’attendaient à ce que l’inflation causée par la pandémie soit de courte durée et disparaisse une fois que les perturbations de l’offre et de la production causées par la COVID-19 auraient été réglées. Toutefois, maintenant que nous comprenons mieux les causes et la magnitude de l’inflation, cela semble de moins en moins probable. Les perturbations que nous observons notamment dans le marché du travail n’aideront pas les choses. La pénurie de main-d’œuvre cause une pression salariale soutenue, ce qui contribue à l’inflation.
À un moment donné, les banques centrales ne peuvent plus ignorer les dépenses incontrôlées et l’inflation : les taux d’intérêt doivent monter pour répondre à la situation économique dans son ensemble. Les entreprises tout comme les consommateurs paient le prix d’un capital plus dispendieux (se traduisant notamment par des coûts d’emprunt plus élevés et un revenu disponible plus faible). Il n’est donc pas surprenant qu’une hausse des taux d’intérêt fasse monter le nombre des insolvabilités.
Avant la pandémie, le secteur de l’énergie était au cœur du monde des insolvabilités. Les prix de l’énergie ont chuté, les sociétés énergétiques étaient en difficulté et les régions où le secteur de l’énergie jouait traditionnellement un rôle important se sont heurtées à un taux élevé d’insolvabilités dans le secteur. Toutefois la pandémie a changé la donne, puisque les prix de l’énergie ont grimpé et que le taux d’insolvabilités dans les champs de pétrole a baissé. Selon un récent rapport de la CBC, Statistique Canada a déclaré que les prix de l’essence ont augmenté de 43 % de janvier à novembre 2020. Le pétrole, le gaz naturel, l’électricité – tout est devenu beaucoup plus cher. Et il s’agit d’un problème à l’échelle mondiale. Le National Post annonçait récemment qu’en 2021, le coût moyen de l’approvisionnement en énergie a augmenté de 200 % en Allemagne, en France, en Espagne et au R.-U.; les pays scandinaves quant à eux ont enregistré une hausse de 470 % en 2021.
Même s’il s’agit d’une bonne nouvelle pour les sociétés énergétiques en difficulté, cette situation présente un défi important pour le reste de l’économie. Et les prix de l’énergie devraient continuer à monter en 2022. Tout cela signifie que les cas d’insolvabilité augmenteront, puisque bon nombre d’entreprises ne pourront simplement plus payer l’électricité.
Il est peu probable que la dissonance observée entre la réalité économique et les insolvabilités continue pendant encore longtemps. Il existe trois scénarios possibles quant à la façon dont le Canada sortira de cette convergence de pressions économiques : (i) l’économie se redresse d’elle-même, de manière naturelle et, disons-le, inattendue, vraisemblablement suivant la résolution définitive de la pandémie et le retour à la normale; (ii) nous trouvons une façon artificielle de contourner la tempête qui approche; (iii) nous affrontons l’inévitable avec les forces qui sont à l’œuvre actuellement. Mettons tout de suite de côté l’option facile – la pandémie risque d’avoir des effets négatifs à long terme et l’économie n’y échappera pas d’elle-même. Et c’est se bercer d’illusions que penser que l’inflation se résorbera, que le marché du travail se redressera et que l’économie retournera à la normale pré-COVID. Soit une combinaison de politiques fiscales et monétaires (et une bonne dose de chance) nous permettra de traverser le pire des bouleversements économiques, soit nous connaîtrons une période de correction importante.
Quoi qu’il en soit, nous prévoyons qu’en 2022 nous verrons le début de cet ajustement qui ne se manifestera pleinement que dans la seconde moitié de l’année. Certaines industries telles que les services d’hébergement et de restauration pourraient être plus susceptibles que d’autres, mais les tendances macroéconomiques présentées ci-dessus transcendent les secteurs. L’ajustement prochain ne sera pas limité à des secteurs précis. L’inflation, la hausse des taux d’intérêt, la pression sur les salaires, etc. – tout le monde sera touché par ces facteurs.
Enfin, l’ajustement ne se terminera pas en 2022; il se préparait depuis longtemps et ne s’achèvera pas de sitôt. Il y a fort à parier que les aspects les plus intéressants et problématiques de la correction ne seront apparents qu’en 2023.
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