La Cour d’appel du Québec clarifie le rôle du représentant et la façon d’appliquer le principe de la proportionnalité dans le contexte de l’analyse de l’article 1003 CPC
Le 5 février 2015, la Cour d’appel du Québec (CAQ) a rendu sa décision dans Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c., concluant que le niveau de compétence requis d’un représentant proposé afin de démonter qu’il peut adéquatement représenter les membres du groupe proposé est minime, et que le niveau de recherche qu’il doit effectuer afin de démontrer cette compétence dépend de la nature du recours. Dans les circonstances particulières de l’affaire, la CAQ a conclu que le requérant n’avait pas à effectuer de recherches afin de tenter d’identifier d’autres membres potentiels du groupe proposé ou de fournir une estimation de leur nombre compte tenu que Vidéotron a toute l’information nécessaire pour faire une telle détermination. La CAQ a également confirmé que le principe de la proportionnalité doit être considéré en appréciant les quatre critères d’autorisation et ne constitue pas un critère d’autorisation distinct, mais a ajouté que lorsqu’un juge utilise son pouvoir discrétionnaire pour appuyer sa décision de rejeter la demande d’autorisation sur le critère de la proportionnalité en conjonction avec l’un des critères d’autorisation, il doit clairement indiquer sur quoi se base son raisonnement. La CAQ a conclu que la juge de première instance avait omis de présenter un tel raisonnement clair. La CAQ a accueilli l’appel et autorisé le recours collectif.
Contexte
Le requérant a déposé une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif au nom des abonnés de services de télédistribution numérique de Vidéotron qui ont utilisé le service de location sur demande pour commander des films pour adultes et ont vu leur durée de location expirer avant la fin de la période de 24 heures de location. Le requérant a allégué que Vidéotron avait contrevenu aux conditions contractuelles et fait de fausses déclarations contraires à la Loi sur la protection du consommateur (LPC) en omettant d'aviser les clients que la période de location pour les films pour adultes était plus courte. Le requérant a demandé le remboursement des frais de location encourus pour la location de « films pour adultes » ou, alternativement, le remboursement au prorata des heures manquantes, ainsi que des dommages punitifs pour un montant de 5 millions.
La juge de première instance a rejeté la requête pour autorisation au motif que le requérant n'a pas démontré qu'il pouvait représenter adéquatement les membres du groupe proposé et ne satisfaisait donc pas au critère de l'art. 1003 (d) du Code de procédure civile (CPC). La juge a fondé sa conclusion sur le fait que le requérant n'a pas mené d’enquête ni cherché à identifier d'autres abonnés ayant des problèmes similaires à ceux soulevés dans le recours collectif proposé, et a simplement affirmé qu'il ne connaissait pas et ne pouvait pas connaître l'identité des membres potentiels du groupe. En outre, la juge de première instance a conclu que le recours collectif envisagé était périlleux, et que permettre au recours collectif proposé d'aller de l'avant violerait le principe de la proportionnalité de l'art. 4.2 CPC, appréciée en conjonction avec l'exigence de art.1003 (d) du CPC.
Le requérant a fait appel de cette décision devant la CAQ.
Le critère de la représentation adéquate des membres
La CAQ a examiné le critère de la représentation adéquate des membres du groupe pour l'autorisation d'exercer un recours collectif au Québec de l'art. 1003 (d) CPC, qui prévoit que « le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres ». La CAQ a réitéré les leçons tirées des récents jugements de la Cour suprême du Canada à l’effet qu'il y a trois éléments à considérer lors de l’évaluation de l’exigence de l'art. 1003 (d) CPC, soit (1) l’intérêt à poursuive; (2) la compétence; et (3) l'absence de conflit avec des membres du groupe, et que ces éléments doivent être interprétés libéralement. Dans le cas présent, seul l'élément de compétence était en jeu.
Alors que la CAQ a reconnu que, généralement, un requérant qui demande l'autorisation d'exercer un recours collectif ne doit pas fonder sa demande uniquement sur son cas personnel et doit prendre certaines mesures afin d’identifier d'autres membres potentiels du groupe proposé et estimer leur nombre, le niveau de recherche requis dépend de la nature du recours. Quand il est évident qu'il y a un nombre important d'autres consommateurs dans une situation identique, il n’est pas nécessaire d'essayer de les identifier, puisque leur existence peut être déduite de la situation. Appliquant ces principes à l’évaluation de l'élément de compétence dans le cas présent, la CAQ a conclu qu'il était raisonnable de présumer qu'une certaine partie des 1,8 millions d’abonnés aux services de télédistribution numérique de Vidéotron ont utilisé le service de location sur demande pour commander des films pour adultes, et que Vidéotron avait toutes les informations nécessaires pour les identifier. En outre, la CAQ a estimé que, puisque l'une des questions soulevées par le recours collectif proposé était de savoir si oui ou non Vidéotron avait contrevenu à la LPC en omettant d'aviser ses clients que la période de location était plus courte pour les films pour adultes, il n’était pas nécessaire de faire une recherche plus approfondie pour vérifier si d'autres consommateurs étaient insatisfaits de cette politique.
Le principe de la proportionnalité
La CAQ a conclu que la juge de première instance n'a pas commis d'erreur en considérant le principe de la proportionnalité en conjonction avec la faiblesse du recours envisagé. Toutefois, la CAQ a conclu que le raisonnement de la juge n’est pas clair puisque qu'elle n'a pas expliqué pourquoi elle considère le recours proposé comme étant périlleux. Alors qu’elle semble fonder sa conclusion à l’effet que de permettre au recours proposé d'aller de l'avant violerait le principe de la proportionnalité trouvé de l'art. 4.2 CPC sur la faiblesse de ce recours, elle associe son appréciation de ce principe à l'exigence de art.1003 (d) CPC. La CAQ, cependant, est d'avis que la faiblesse d'un recours proposé fait plutôt appel au critère de l'art. 1003 (b) CPC, soit celui sur l'apparence de droit, lequel avait été rencontré de l’avis de la juge de première instance.
Conclusion
La décision de la CAQ sur l'interprétation de l'art. 1003 (d) CPC n’est pas réellement surprenante compte tenu des récentes décisions de la Cour suprême du Canada en matière de recours collectif, qui a interprété les critères d'autorisation d'une manière très libérale. Toutefois, il est à noter que la décision de la CAQ met beaucoup d'emphase sur la nature particulière de cette affaire et sur les circonstances très particulières qui s’y rattachent. Le fait que Vidéotron est en possession de toutes les informations nécessaires pour identifier les membres potentiels du groupe a été un facteur déterminant pour la CAQ. Une telle situation ne sera pas toujours présente, et de manière générale, il sera donc encore possible de faire valoir que le représentant proposé doit prendre des mesures pour identifier d'autres membres potentiels du groupe et estimer leur nombre.